Fidel Castro une vie
l’effondrement. La bataille va durer cinq mois. Et Pretoria ne percera pas les lignes cubaines.
Cuba n’a jamais détaillé ses pertes. Dans ses entretiens avec l’Italien Mina, Fidel suggère qu’elles se montent à moins de mille, une donnée en ligne avec les dires du « proconsul » cubain à Luanda Jorge Risquet. Selon le général Rafael del Pino, numéro 2 de l’aviation cubaine qui a déserté en 1987, les expéditionnaires auraient eu dix mille morts. Sans doute la vérité s’établit-elle entre les deux. Voici, de toute façon, unchiffre important, pour un pays de moins de onze millions d’habitants.
Il est certain que Luanda, écrasée par le coût de la guerre, était, plus que La Havane, prête à chercher l’ouverture auprès de l’adversaire angolais Jonas Savimbi, chef de l’Unita. On était ainsi apparu déconcerté, autour de Fidel, par l’accord passé dès le 16 février 1984 entre Pretoria et Luanda. C’est ce document, pourtant, qui a ranimé la diplomatie. L’inlassable secrétaire d’État américain Chester Crocker a fait, quatre années durant, la navette entre les parties avant que, pour la première fois, en 1988, les États impliqués dans le conflit – Angola, Afrique du Sud, Cuba, ainsi que les États-Unis agissant comme médiateur engagé – s’assoient autour d’une table. Le 22 décembre seront signés, aux Nations unies à New York, deux accords : l’un prévoit le retrait progressif de tous les Cubains, et l’autre l’indépendance de la Namibie, jusque-là protectorat de l’Afrique du Sud.
Fidel sort de l’aventure la tête haute. Il y était entré, en 1975, dans des conditions ambiguës : même s’il a toujours assuré avoir pris seul la décision de voler au secours du camp progressiste angolais, il agissait objectivement en valet d’armes d’une Union soviétique alors prise d’un regain d’activisme à l’occasion de la décolonisation portugaise : il payait sa dette économique envers Moscou avec le sang cubain. En toute hypothèse, le
Lider
n’avait aucun moyen de tenir, à des milliers de kilomètres de chez lui, sans les armes et le matériel mis à sa disposition par Moscou.
Mais la croisade cubaine était loin d’être sans projets propres, et certains d’entre eux ont abouti. Certes pas dans la « Corne » de l’Afrique, où le cynique retournement d’alliance de 1978 a été l’un des éléments d’une déstabilisation plus générale, qui a conduit à la situation actuelle d’un pays, la Somalie, d’une part divisé en trois et, pour sa moitié sud, en proie à l’anarchie, à l’islamisme et à la guerre, civile et étrangère, depuis 1991.
Quant à l’Angola, à défaut de l’avoir stabilisé politiquement (il faudra plus d’un lustre et demi après les accords de 1988 pour qu’un règlement intérieur commence à s’y préciser…), les Cubains en ont fait une base d’où ils ont affaibli l’Afrique du Sud de l’apartheid, bouleversant ainsi le paysage de la régionet du continent. Ainsi, non seulement Fidel aura fait du bruit sur terre, ce qui était d’évidence un élément de son plan de vie, mais il aura changé la face d’une partie du monde. Cuba aura en effet contribué de façon décisive à l’indépendance de la Namibie, sur laquelle la communauté internationale achoppait de longue date et qui deviendra effective le 21 mars 1990. Quant au démantèlement de l’apartheid qui va suivre, Nelson Mandela, libéré le 11 février 1990 après vingt-sept années en prison, viendra le 26 juillet 1991 à La Havane en rendre hommage à Fidel et son peuple : « C’est la première fois que quelqu’un est venu nous défendre », dit ce jour-là le vieux lutteur. Il ajoute que les forces armées de l’île ont, à la bataille de Cuito Cuanavale, « détruit le mythe de l’invincibilité de l’oppresseur blanc ». L’hommage était d’évidence dû, mais la qualité, universellement reconnue, de son auteur force l’esprit le plus sceptique à l’entendre.
Fidel va se tenir aux accords de New York. Le 10 janvier 1990, une cérémonie haute en couleur, à Luanda, marquera l’adieu aux armes des Cubains, dont quatre mille s’embarquent pour La Havane le jour même. Tout au plus le
Lider
décidera-t-il, au printemps 1990, une suspension provisoire du repli face à des attaques de l’Unita contre ses troupes. Il entend montrer que, en cette affaire, il n’obéit qu’à ce qu’il a signé et que nul
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