Fidel Castro une vie
ne le contraindra à on ne sait quelle hâte. Le 25 mai 1991, avec quelques jours d’avance sur le calendrier initial, le dernier des cinquante mille soldats cubains quittera l’Angola. C’était la fin non seulement d’une entreprise engagée seize ans plus tôt, mais aussi de toute l’aventure africaine de La Havane, discrètement commencée au début des années 1960 par une aide à l’Algérie contre le Maroc lors de la « guerre des sables ». En Éthiopie, l’autre gros contingent « internationaliste » de l’île caraïbe sur le continent noir avait également procédé à son repli à partir de l’automne de 1989.
Au pays, cependant, Fidel éprouve de sérieuses difficultés à tenir son monde. Dès le début des années 1980, à la faveur de la relative ouverture consécutive à l’exode de Mariel, étaient apparus des groupes d’artistes indépendants dont le pouvoir a toléré qu’ils organisent parfois de petites expositions« sauvages », y compris à certains carrefours de La Havane. Des rockers et groupes de musiques plus débridées, tels les Van Van, ou Carlos Varela, dont les chansons flirtent avec la contestation, commencent à occuper une place éminente dans les concerts et même à la radio. Le destin des uns et des autres sera différent. Les plasticiens finiront, dans l’ensemble, par se lasser des difficiles conditions d’exercice de leur art et partiront. Les musiciens, eux, sans doute parce qu’ils touchent plus immédiatement la sensibilité de Cubains fous de rythme, aussi parce qu’ils rapportent des devises au pays, ont dans l’ensemble prospéré, parvenant même à se tailler d’estimables, voire d’importants espaces de liberté, artistique et économique.
Plus surprenant encore : le régime laisse éclore, à partir de 1985, de petits mouvements de contestation axés sur la défense des droits de l’homme, l’écologie, etc. Certains vont se prévaloir de la
perestroïka
soviétique puis, plus simplement, d’une nécessaire ouverture démocratique de Cuba au XX e siècle finissant. Plusieurs ne tarderont pas à comprendre la nécessité d’un dialogue de l’intérieur avec les exilés. Quelques noms surgissent d’un foisonnement, il est vrai, parfois encouragé par les Services à des fins de zizanie. Le plus ancien contestataire est Ricardo Bofill, qui a fait maints séjours en prison à partir des années 1960. Épuisé, il quittera l’île en 1988. Ce sont Gustavo Arcos, un ex-ambassadeur devenu anticastriste, puis Elizardo Sánchez, à partir de 1986, qui deviendront les figures de proue de la contestation, ensuite rejoints par Oswaldo Paya. Tous se réclament des droits de l’homme, les uns au nom de la social-démocratie, Paya au nom de la démocratie chrétienne. Plusieurs dissidents sont d’ex-sympathisants du fidélisme (Arcos a été « moncadiste ») ou du communisme (Bofill avait été de l’affaire de la « microfraction » en 1968). L’un des plus étonnants de ces nouveaux opposants est Jesus Yánez, un officier qui, en 1953, avait refusé de servir à Fidel, emprisonné après la Moncada, un potage empoisonné.
Pour la première fois en 1988, le
Lider
a autorisé la venue de commissions internationales pour enquêter sur les droits de l’homme : America’s Watch, Amnesty, le barreau de New York, la Croix-Rouge, l’ONU. Des centaines de Cubains prendront le risque de témoigner. Les rapports de ces instances paraîtrontaccablants pour le régime – cependant, la commission
ad hoc
des Nations unies, à Genève, soulignera les « progrès accomplis ». Exécutions sommaires de détenus, assassinats d’opposants, disparitions : même s’ils sont restés exceptionnels, la révélation de tels actes secouera plus d’une conscience « amie de Cuba ». Le ministre de l’Intérieur, José Abrantes, va même reconnaître que la torture a été utilisée « par le passé » dans les geôles, ce qui avait toujours été nié et, aujourd’hui, reste nié. Le nombre des prisonniers de conscience est établi, fin 1988, à un demi-millier.
Il a aussi commencé à être question, à partir de 1986, de « sidatoriums » créés pour isoler les premiers citoyens de l’île reconnus atteints du syndrome immunodéficitaire acquis (ce sont, en général, des soldats retour d’Angola). Cette mesure, qui est apparue naturelle à un régime passionné de prévention, est aussitôt dénoncée à l’étranger comme « discriminatoire
Weitere Kostenlose Bücher