Fidel Castro une vie
les règles d’échange. L’accord quinquennal et les accords annuels qui l’affinent ne seront plus qu’un cadre ; l’essentiel sera laissé aux entreprises soviétiques, livrées à une croissante autonomie. Or, la Cuba de Fidel Castro n’est pas prête, tant s’en faut, pour ce jeu-là.
Tout au contraire, en un geste qui lui ressemble bien, où le panache est mis au service de la volonté de défier, le
Lider
revient sur les réformes qu’il avait lancées en 1982, dans la foulée de l’exode de Mariel. Dès le 1 er juillet 1985, il renvoie Humberto Pérez, vice-président du Conseil des ministres et président du Plan, architecte de la « NEP » cubaine – une ouverture qui avait porté l’île à des sommets de production inégalés, notamment en matière sucrière, et qui avait donné à la population une aisance sans pareille depuis le début des années 1960, si l’on excepte les premières années 1970. Le III e Congrès du PCC est même reporté afin que le troisième plan soit réécrit dans des perspectives plus centralisatrices, moins tournées vers la participation du petit secteur privé, paysan notamment, qui avait été relancé au début de la décennie 1980. En 1986, pour ses soixante ans, Fidel fait donc une pétulante crise de jeunesse, revenant aux jours du « guévarisme ». Le 6 avril, il annonce la nouvelle ligne, intitulée « rectification des erreurs ». Il expliquera cela plus tard, le 26 juillet 1988 : « Dans notre effort pour rechercher l’efficacité économique, nous avons créé le bouillon de culture de quantités de vices et de déformations, et qui pis est de corruptions. » Stigmatisant les « cochonneries » de l’approche capitaliste, il précise, afin que nul ne l’ignore : « Nous ne sommes pas dans la mer Noire mais dans la Caraïbe. » L’écrivain Gilles Lapouge pourra écrire dans
Le
Monde
, à cette époque : « En économie, Castro est un danger public. » De fait,la « rectification », qui va durer quatre ans, mettra l’île dans une situation irréelle, contribuant à créer, dès 1986, une crise terrible qui verra la Cuba castriste pantelante à l’orée de la phase la plus rude de son histoire : la fin de la coopération du bloc socialiste, puis de l’aide de l’Union soviétique.
La « castroïka » (ainsi les Cubains vont-ils, par amère dérision, surnommer la « rectification ») s’accompagne d’un ballet diplomatique étrange entre Fidel et « Gorby ». Ce seront des années tout en passes subtiles, où les deux se gardent bien de se harceler au grand jour, alors que, en profondeur, des réajustements profonds sont à l’œuvre. Ainsi Castro se rend-il à Moscou pour assister aux cérémonies marquant le soixante-dixième anniversaire de « la grande révolution socialiste d’Octobre », le 7 novembre 1987 (c’est là son onzième et dernier voyage en Union soviétique), mais il y reste peu.
Lorsque, après un report, Mikhaïl Gorbatchev viendra finalement à La Havane le 2 avril 1989, rien ne se passera comme le prévoyait une presse américaine accourue en gros bataillons pour rendre compte du « choc historique » entre le père de la
perestroïka
et son contempteur. À la stupéfaction des
anchormen
américains, les deux secrétaires généraux échangent des assurances d’« amitié éternelle ». Un traité de coopération est même signé pour… vingt-cinq ans. Mais, de part et d’autre, il y a énormément de bluff. Serge Raffy prétend même, dans son
Castro, l’infidèle
, que Gorbatchev était paniqué à l’idée qu’un attentat puisse lui coûter la vie sur le sol insulaire !
Avant l’automne, Fidel fera interdire dans l’île
Les Nouvelles de Moscou
et
Sputnik
, publications qui exercent la passion de la « transparence » jusque dans la cour du Cubain. Côté soviétique, le signe le plus tangible de la baisse d’intérêt envers l’île se lit dans les chiffres des livraisons de pétrole. Elles passeront de 13,5 millions de tonnes en 1987 à 13 millions en 1988, 11,5 millions en 1989, 10 millions en 1990 et 8 millions en 1991, dernière année de l’Union soviétique. Moscou justifie cela par la « désorganisation » qui règne au pays des Soviets. Le partenaire, par ailleurs, révise les termes de l’échange, jusque-là si favorables à Cuba : d’un ratio de 1 tonne de sucre troquée contre 3,5 tonnes d’or noir, on passe en 1990 à 1 tonne contre 1,8. Et, au début de 1990, Moscou fait
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