Fidel Castro une vie
création de « l’armée d’Occident », dont le QG est à La Havane. Or, on sait dans les ambassades que le général Ochoa a été programmé, sa carrière l’y destine, pour prendre la tête de cette unité, la plus prestigieuse de Cuba. Il a même fait, en avril, la traditionnelle tournée des popotes avec Raúl – dont on dit, dans les milieux diplomatiques, qu’il est son ami de trente ans, que leurs épouses ont été elles aussi très liées. Mais ce que les gens informés n’ignorent pas, c’est que, début juin, le ministre a dit à Ochoa qu’il ne convient pas pour le poste. On pense qu’il a agi en cela sur ordre de son commandant en chef de frère, qui n’apprécie décidément pas un homme que ses exploits ont sans doute rendu trop libre de ton, avec parfois une touche de sarcasme qui peut aller jusqu’à égratigner Fidel Castro lui-même. Lors de cette entrevue, les choses en sont arrivées, entre les deux ex-amis de trente ans, à la violence verbale.
Le discours du jeune frère de Fidel (cinquante-huit ans), numéro 2 en tout dans l’île et successeur désigné, est retransmis en direct par la télévision. Or, Raúl est dans un état affreux. Deux heures et demie durant, les Cubains vont voir sur leur petit écran un homme qui leur donne l’impression d’être hors de lui, comme ivre, d’alcool et/ou de rage. Mentalement désordonné. Un message sourd, pourtant : « Les militaires peuvent avoir leur point de vue, mais, quand on donne un ordre, ils doivent l’exécuter. » Sur Ochoa : « C’est l’officier que j’ai le plus souvent rappelé à l’ordre. » Et encore : « Il plaisante trop, au point qu’on ne sait pas quand il parle sérieusement. » Il fait référence à ce grand général comme à un « stratège de café ». Et puis il a cédé au « populisme ». Raúl ajoutera que « ceux qui n’aiment pas notre socialisme » peuvent aller « en Pologne, en Hongrie, en Chine… ». Enfin, par glissements, il arrive à la dénonciation qui figure dans le
Granma
du jour : en Angola, Ochoa ne s’est pasoccupé « de la guerre, mais d’autre chose ». Il avait autour de lui des officiers « complices au sens du commerce ». Il a cédé « à la fièvre de l’or ». Pour finir, Raúl annonce la comparution d’Ochoa devant un jury d’honneur. Et il lâche une phrase terrible : « Entre corruption et trahison, il n’y a qu’une ligne très fine… »
Ne serait-ce pas plutôt que le brillant Ochoa s’est laissé griser par ce que les Grecs nommaient l’
ubris
, ce vertige qui naît du succès ? Au point de ne plus retenir les critiques que tout officier en campagne lâche contre « l’arrière qui se la coule douce », contre « les politiciens qui envoient les hommes au casse-pipe sans leur en assurer les moyens », « les grands chefs qui cherchent à commander depuis leur ministère », se donnant ainsi « la facile illusion du courage »… L’allusion au « populisme » indiquerait qu’Ochoa a pu vouloir, à coups de cadeaux à des officiers, se constituer une base d’appui, préoccupante pour tout pouvoir, surtout quand l’homme qui y procède est un prestigieux combattant. Raúl insinue donc qu’Ochoa a pu être tenté de jouer les César franchissant le Rubicon, ou les Bonaparte assaillant le Comité central du PCC en guise de Conseil des Cinq-Cents. Par ailleurs, la remarque sur les Républiques populaires peut renvoyer à une inclination manifestée par Ochoa pour les réformes en cours à l’Est, la
perestroïka
. Ce qui était là révéler une crainte de nature
politique
. Or, Ochoa était plutôt un grand soldat, dont le prestige et le charisme savaient entraîner des hommes derrière lui.
Cependant, Castro a aussi annoncé que l’accusé est attaqué sur un autre terrain, bien moins prestigieux, plus aisé aussi sans doute à établir : celui de malhonnêtetés auxquelles il a pu se livrer en Afrique. De fait, il est question, par bribes distillées, de trafic d’or, de diamants, d’ivoire, de bois précieux… Puis les choses vont prendre un tour différent. Car, dans le même élan, ont aussi été arrêtées deux personnalités de l’île : les frères (jumeaux) Antonio (Tony) et Patricio La Guardia ainsi qu’une dizaine d’officiers appartenant, comme eux, au ministère de l’Intérieur (Minint). On apprendra vite que, dans leur cas, l’accusation est autre : trafic de drogue ! Et le choc est énorme car Fidel s’est toujours
Weitere Kostenlose Bücher