Fidel Castro une vie
acharné à proclamer que « Cuba présente un bilan sans tache » sur ce sujet. C’est un éditorial de
Granma
, le 16 juin, qui en informe le pays. Pour les « cubanologues »,son style est celui des textes anonymes de Fidel. Il y est dit qu’« Ochoa et des fonctionnaires du Minint en rapport avec lui ont eu des contacts avec des trafiquants de drogue, ont conclu avec eux des traités et tenté, peut-être avec succès, de coopérer à des opérations de trafic à proximité de notre territoire ». Ochoa se retrouve ainsi soudain mêlé à une affaire dont personne, au départ, ne l’accusait. Mais, par ailleurs,
Granma
formule un aveu de taille : la participation de Cubains de haut rang à un trafic de drogue.
C’est là l’accusation que martelaient les États-Unis depuis le début des années 1980. Et non seulement l’exécutif (dont Reagan lui-même), mais aussi la Justice : celle-ci a intenté, depuis un lustre et demi, en Floride, trois procès dont celui, en cours, à l’encontre du Panaméen Noriega, où l’implication d’officiels de Cuba est affirmée, sinon démontrée. Une nouvelle affaire vient, au demeurant, d’entrer dans une phase active, rappellent Jean-François Fogel et Bertrand Rosenthal dans leur
Fin de siècle à La Havane
: celle qui a pour centre Reinaldo Ruiz, trafiquant américain d’origine cubaine, qui met en cause de hauts fonctionnaires à statut militaire de l’île. La coïncidence de ce procès avec le déclenchement de ce qui devient « l’affaire Ochoa » n’est pas perçue alors en Europe, mais n’échappe pas aux journaux américains. Une question s’ensuit : ne serait-ce pas ce regain de pression de la cour de Floride qui a poussé les frères Castro à reconnaître qu’une complicité subalterne a pu exister dans le trafic ?
En cela, l’homme que le régime cubain charge des plus lourds péchés est Antonio La Guardia, chef, au Minint, depuis le début de 1986, d’un département « Monnaies convertibles » (MC) dont la tâche, sous couvert de détourner l’embargo américain, est de rapporter, par tous les biais qu’il juge bon, des devises à l’économie exsangue du pays. Sa latitude d’action est immense, tout comme, dans les décennies passées, n’avaient jamais été mesurés à cet enfant chéri de Castro, aussi fidèle que plein d’audace, les moyens de mener à bien certaines « opérations spéciales », du Proche-Orient à l’Amérique latine, telles l’organisation, au début des années 1970, du « Groupe des amis du président » chilien Allende ou celle, en 1979, du « Front Sud » contre Somoza, au Nicaragua. Fidel, qui préfère souvent,à l’indispensable prudence, la divulgation de ses fulgurations, expliquera à Mina que le MC avait « une sorte de lettre patente de corsaire » qui « rendait moral et légitime tout ce que nous faisions contre [le] blocus ».
Lorsque, au début des années 1980, Tony transite des grandes aux sordides affaires de l’État, maint journaliste chargé de suivre l’Amérique latine va avoir l’occasion de faire sa connaissance. La rencontre a souvent lieu à Panama, où l’officier passe du temps, du fait de ses responsabilités à la Cimex, une société cubaine de droit panaméen, créée en 1976-1977 pour servir de centrale d’achats à l’île caraïbe. De l’importation de produits « sensibles » (haute technologie, y compris militaire) au trafic de drogue, y a-t-il une absolue solution de continuité ? La difficulté réside non tant dans l’obtention du produit que dans son acheminement, et les canaux utilisés dans un sens peuvent (et, souvent, demandent à) servir dans l’autre. Ceux qui faisaient entrer en fraude des marchandises déficitaires à Cuba étaient « des gens ayant des relations dans le trafic de drogue », expliquera ainsi Tony à son procès. Il expliquera aussi que certains circuits ont été mis en place lors du va-et-vient de navires liés à l’exode de Mariel en 1980.
Jorge Masetti, un Argentin qui, des années durant, a travaillé avec les Services cubains, à travers l’Amérique latine et en Afrique, avant de s’exiler en France, note : « Au risque de choquer, je dirais que le surprenant de l’affaire ne résidait pas dans les “révélations” sur les rapports avec le narcotrafic, mais dans leur utilisation soudaine contre les accusés. En effet, ces rapports n’étaient pas nouveaux. Ils étaient connus et commentés, si ce n’est dans la
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