Fidel Castro une vie
avait conclus avec Washington, sur la piraterie aérienne et les migrations ? N’a-t-il pas humilié Jimmy Carter, qui était disposé à faire la paix avec lui ?
Pourtant, depuis la fin de la guerre froide et du camp socialiste, Cuba a cessé de représenter un danger pour les États-Unis, comme l’admettent les deux tiers des Américains sondés. En outre, Washington a bien fini par renouer avec des adversaires tout aussi coriaces (les Vietnamiens), ou aussi peu respectueux des droits de l’homme (les Chinois). Alors ? Alors « l’Histoire ça existe », entend-on souvent, à titre d’explication, dans les coulisses du pouvoir à Washington. On veut dire par là que les rapports, depuis 1959, entre Castro et le voisin du Nord, ont à ce point échappé à la sphère du rationnel qu’il ne peut être question de renouer le fil bilatéral tant que le
Lider
(et une majorité ajoute : et son frère Raúl) restera en place.
Par le biais du million et quelques de ses exilés, Cuba est devenue partie intégrante du jeu électoral américain, bridant la latitude d’action tant du législateur que de l’exécutif. Mais il est également devenu classique d’affirmer que « l’embargo sert Fidel plus qu’il ne le dessert, puisqu’il est contournableet aisément contourné » et qu’il offre au
Lider
« une explication toujours prête aux maux économiques dont souffre le pays ».
Si Washington avait dû renouer avec La Havane, l’occasion aurait pu s’en présenter au premier semestre de 1989. Répondant à un souhait constant des États-Unis, Fidel venait en effet d’accepter le retrait de ses soldats d’Angola. Il avait, par ailleurs, tout au long de 1988, autorisé la venue dans l’île de missions d’exploration de la situation des droits de l’homme : c’était là acquiescer à une autre demande récurrente du grand voisin. En outre, les autorités cubaines, acculées, donnaient des signes de coopération, désormais, dans le domaine de la lutte contre le trafic de drogue, autre obsession américaine. Enfin l’achèvement, le 20 janvier 1989, de la présidence Reagan, grand adversaire de Castro, aurait pu permettre une relance des dés. Or, George Bush père, le successeur, choisit au contraire la confrontation diplomatique. Sentant que la
perestroïka
s’essouffle, il demande à Gorbatchev le largage de l’Amérique centrale révolutionnaire. Et il va l’obtenir, on l’a dit : on verra « Gorby », pourtant venu en avril 1989 à Cuba affirmer son soutien à Castro, lâcher, le 10 mai, « cinq points » par lesquels il se ralliait au principe d’une « recherche de la paix par la démocratie » dans l’isthme – là où, au Nicaragua, au Salvador, Fidel mène son ultime combat internationaliste…
Et comme si cela n’était pas assez, un slogan court aux États-Unis au début des années 1990 : «
Cuba is next
» (c’est le tour de Cuba). Pourtant, la Maison Blanche n’ira pas jusqu’à planter le fer. Le lancement de TV Marti, aussitôt brouillée, dit quelle forme particulière de guerre sera jouée. En avril 1992, la loi sur la Démocratie cubaine – dite « loi Torricelli », du nom du représentant démocrate qui l’a proposée – est adoptée. Ce texte combine le bâton – un renforcement du blocus de 1960, interdisant aux filiales étrangères des sociétés américaines de commercer avec Cuba – et la carotte, qui n’a aucune chance d’être bien reçue par Castro : une politique d’appui à la « société » civile, notamment par l’ouverture de nouvelles formes, modernes, de communication entre l’île et le continent.
Une fois encore, cependant, un président américain qui avait fait de Castro sa cible allait chuter : George Bush père, qui aurait bien fait prévaloir le bâton, sera battu, fin 1992, par ledémocrate Clinton. Celui-ci, en parfait représentant des « néodémocrates », a mené une campagne peu amène pour Cuba, se disant, de façon ambiguë, prêt à œuvrer à l’« ouverture » de l’île. Fidel, quant à lui, s’est invité dans la campagne électorale du voisin, se disant disposé au dialogue « sur tout » pour aboutir à la normalisation.
Dans les faits, les débuts de Clinton marquent un net relâchement des tensions bilatérales. Or, tandis que l’Américain préside à une très nette restauration de l’économie de son pays, Cuba se débat dans une crise de subsistance. Cette différence climatérique explique en partie un
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