Fidel Castro une vie
invités triés sur le volet, au théâtre Heredia de Santiago.
C’est là un pas capital puisqu’il va sortir l’économie de l’irréalisme où elle s’enlisait depuis huit ans. De fait, le cours du peso remonte aussitôt. Quelques semaines encore et les artisans sont autorisés à travailler « à leur compte ». C’est l’annulation de la situation créée en 1968 par la nationalisation de toutes les « micro-activités » – sur laquelle le régime était d’ailleurs, une fois déjà, en partie revenu, de 1982 à 1986. Et c’est l’explosion : fin 1995, deux cent mille personnes étaient déjà actives dans l’un ou l’autre de ces petits métiers redécouverts. Non sans couac, pourtant. Ainsi pour ce qui est des
paladares
: parmi les activités relégalisées figurent ces restaurants privés ouverts dans des appartements, des arrière-cours, etc., par quiconque a accès (de façon illégale souvent) à des denrées. Or, très vite, les
paladares
seront supprimés parce qu’ils ont concurrencé les établissements publics ! Plus d’une année durant, les Cubains vont donc devoir se cacher à nouveau de la police pour déjeuner ou dîner un peu plus agréablement que dans les cantines d’État. Mais les
paladares
seront rétablis dès 1995, à la condition qu’ils ne proposent pas plus de treize couverts chacun.
Une autre mesure capitale a été annoncée le 1 er octobre 1994 : les marchés paysans sont restaurés. Eux aussi avaient été autorisés en 1982, puis supprimés en 1986. Là aussi, le prix payé par les Cubains des villes a été la ceinture serrée. Ce rétablissement des marchés paysans est apparemment l’une des réformes qui a le plus coûté à Fidel : il a la conviction, tirée de ses lectures, que tout agriculteur est en puissance un
koulak
– un de ces possesseurs de terre que Staline avait éradiqués au début des années 1930. En 1986, le
Lider
avait même faitde l’enrichissement des paysans sur le marché libre le symbole des « cochonneries » du capitalisme contre lesquelles il levait l’étendard de la « rectification des erreurs ». Marque de méfiance maintenue, pourtant, par Castro face à une évolution inéluctable : les transactions portant sur les surplus dégagés par les agriculteurs seront contrôlées par les forces armées. Le 26 octobre 1994, enfin, des magasins (baptisés «
shoppies
» par la rue) ont été ouverts à tous, dans lesquels, à prix libres, sont vendus des marchandises tant d’État qu’issues d’activités privées.
En quelques mois, le paysage va changer. Non que les aliments aient partout reparu en abondance car, dans l’euphorie de l’aide accordée par le camp socialiste, Cuba avait quasiment laissé tomber son agriculture au profit d’importations, et il ne restait plus guère, en 1994, que cent mille paysans : la production va donc devoir se refaire un chemin. Mais les problèmes dûs à la négligence et aux vols sont réduits, et maints produits reparaissent dans un circuit légal. L’organisation méthodique de la rareté au nom de l’égalité cesse d’être la donnée axiale de l’économie. Quelque chose comme un marché est établi. Carlos Lage a même assuré, lors du forum de Davos de 1995, où un Cubain était invité pour la première fois, que la croissance du PIB serait de 2 % pour 1995. Moins réjouissant : on laisse entrevoir (pour un avenir, il est vrai, non précisé) des milliers de licenciements dans les entreprises publiques non rentables – ce qui est le cas de la plupart.
L’industrie et les services ont, eux aussi, repris leur essor en ce milieu des années 1990. Des publicités sont apparues sur certains murs. Un rien d’immobilier repart, timidement. Les
joint ventures
se multiplient, et beaucoup sont rentables. Selon Lage, il y en aurait, fin 1995, près de deux cents, pour un capital de 1,5 milliard de dollars, portant sur une vingtaine de secteurs, avec des firmes originaires d’une vingtaine de pays. Venu à New York en octobre 1995 célébrer avec ses pairs le cinquantième anniversaire des Nations unies, Fidel a la satisfaction de voir une cinquantaine de grands hommes d’affaires américains, dont David Rockefeller et Ted Turner, se bousculer autour de lui afin de prendre rang pour le jour où l’embargo serait levé. En mars déjà, le CNPF (aujourd’hui Medef) a organisé unvoyage de patrons français. Le président de la mission, Jean-Pierre Desgeorges, a jugé la
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