Fidel Castro une vie
de la capitale-vitrine, n’est plus une cité fantôme. Les coupures de courant y sont moins fréquentes. Une circulation automobile y a repris. Des lieux de sociabilité ont rouvert : bars, cafétérias… C’est là le résultat de plusieurs décisions prises en trois ans dans le sens d’une libéralisation.
D’abord limitée au tourisme, l’ouverture au capital étranger a été élargie à d’autres pans d’activités. Des sociétés canadiennes, européennes, latino-américaines, s’y sont engouffrées, avec des fortunes diverses : Total a fait un tour d’investigation, mais s’est vite retiré ; Bouygues a fait de même dans le domaine des travaux publics ; au contraire, Sherritt (Canada) a pris pied dans le nickel, un peu aussi dans le pétrole, ce qui lui vaudra de devenir la compagnie étrangère numéro 1 à Cuba. Un décret-loi 50 a limité à 49 % la participation des non-Cubains dans les
joint ventures
autorisées, mais des passe-droits sont accordés. Pour convaincre les hésitants, les autorités font valoir : « Ni grèves ni syndicat revendicatif. » « Étonnamment peu de corruption chez les officiels pour un pays du tiers-monde », note également un capitaliste français qui, après hésitations, a franchi le pas. Mais le même homme se plaint d’« un environnement juridique flou ».
Pour remédier aux incertitudes du droit, le régime a commencé par le haut : le 12 juillet 1992, la Constitution de 1976 a été modifiée pour inscrire dans l’airain la protection du capital étranger. Et, en trois remaniements d’août 1993 à février 1995, Fidel a nommé une kyrielle de jeunes ministres et secrétaires d’État favorables aux réformes. Plus d’un provient de l’un ou l’autre de ces instituts d’études qui, dans les années 1980, ont multiplié les articles tentant (respectueusement) d’alerter les dirigeants sur la réalité. Les plus notoires sont Osvaldo Martínez à la Planification, Francisco Soberón Valdés qui devient directeur de la Banque centrale, Jesús Pérez Othon aux Industries légères, Marcos Portal León aux Industries de base, Alfredo Jordán Moráles à l’Agriculture et José Luis García aux Finances. La plupart de ces hommes resteront près de trois lustres aux affaires.
Toutefois, ces « quadras » ne peuvent pas avancer plus vite que l’esprit du
Lider
! Or, celui-ci est confronté à un dilemme. Sa Révolution est un mélange de socialisme et de pouvoir personnel. Dans le castrisme, d’ailleurs, Raúl pèse de plus en plus de son propre poids : de sources convergentes, il aurait eu vers cette époque un affrontement avec son frère d’une violence inédite depuis leur entrevue de Houston au printemps 1959, sur la question des « marchés paysans » : il faut, selon Raúl, les autoriser à nouveau pour que les Cubains puissent tout simplement manger… Fidel, lui, imagine,
a priori
, ne rien devoir lâcher. Or, la survie du régime, Raúl en est assuré, passe par une amélioration drastique et rapide du niveau de vie, laquelle implique une réforme du système de production. Et d’ailleurs, au niveau international, le socialisme cher à Fidel n’est-il pas mort ou moribond : chez ses (nouveaux) partenaires chinois depuis quinze ans, chez ses chers amis du Viêtnam depuis 1986 ! Et pourtant le
Lider
proclame encore vouloir faire de Cuba l’« ultime tranchée » socialiste. Cela parce que le socialisme est le choix qu’il a fait un jour et qu’y renoncer serait reconnaître s’être trompé. C’est impossible ! Alors Fidel louvoie. Il mâtine le slogan «
Socialismo o muerte
» du «
Patria o muerte
» de ses débuts ardents : Martí repasse en douceur devant Marx et Engels. Et le
jefe
va accepter que des coups de canif soient, provisoirement au moins, portés au dogme.
La plus énorme encoche est une annonce qu’il fait le 26 juillet 1993 : la détention de dollars par les particuliers et l’ouverture de comptes en devises seront désormais légales. Le jour des quarante ans de la Moncada, le
Lider
dit à ses compatriotes que le billet vert de l’ennemi de toujours va devenir l’autre monnaie nationale – en théorie à cours égal avec le peso, en pratique bien au-dessus puisque le peso ne vaut plus rien (à la mi-1993 : un
cent
au cours parallèle ; cent fois plus, soit un dollar, au cours légal). C’est terrible, et l’on comprend que l’annonce soit faite non face à la foule traditionnelle mais devant trois mille
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