Fidel Castro une vie
voisinage ». Dagoberto Valdés, un ingénieur qui s’est engagé comme laïc dans le renouveau catholique, déclare : « Il n’est plus vrai que Cuba soit synonyme de Castro. » Une revue,
Vitral
, voit le jour sous l’égide de l’Église, à Pinar del Rio. Le dramaturge Nicolás Dorr, qui a fait jouer en 1994 sa pièce
Un mur à La Havane
(une charge contre l’intolérance), estime qu’« il y a une rupture de l’autocensure ».Par ailleurs, le 19 septembre 1995, le dissident Yndamiro Restano, à peine libéré de prison, a lancé, avec une dizaine de personnes, à La Havane, un bureau de presse indépendant auquel, notamment, Régis Debray apporte son soutien.
De fait, toute l’année 1995, un débat se poursuit au sein de la modeste mais courageuse dissidence cubaine, relayé par les envoyés spéciaux de la presse internationale et les correspondants sur place : n’est-il pas inévitable que l’incontestable ouverture économique survenue depuis dix-huit mois s’accompagne d’une ouverture politique ? L’optimisme n’est pas absent : on évoque même l’hypothèse d’un « gouvernement d’union nationale »…
Cependant, le castrisme « éternel » ne baisse pas les bras. Une manifestation convoquée le 5 août 1995 sur le Malecón par les Jeunesses communistes, un an après la grande émeute, rassemble un demi-million de personnes. À New York, lors du jubilé de l’ONU, Fidel déclarera ne pas envisager « pour le moment » l’introduction de ce multipartisme, qu’il a naguère qualifié de « multicochonnerie ». C’est le parti unique qui a permis à Cuba de survivre au blocus américain, expliquera-t-il sur CNN. Et il ajoute ne pas voir en quoi sa démission aiderait à « redresser l’économie ». Un slogan nouveau est poussé lors des « réunions de masse » : « Fidel pour la vie. »
Et, au vrai, le
Lider
semble installé à jamais au sommet du pouvoir. Moins sur la brèche que jadis, il passe du temps au troisième étage du palais de la Révolution, où se trouve son spacieux bureau de président du Conseil d’État, qui est son pied-à-terre « professionnel ». Les meubles sont fonctionnels et sobres : canapé en cuir, immense bibliothèque et grande table de travail, étagères portant notamment une tête en bronze de Martí et un buste de Lincoln, aux murs une lettre autographe de Bolivar et une photo dédicacée d’Hemingway ainsi que, dans un coin, une figuration sculptée de… don Quichotte. C’est là aussi que les trente autre membres du Conseil d’État, instance « collective », ont leur bureau. Un cabinet d’une vingtaine de personnes, le Groupe d’appui et de coordination, mâche la besogne du commandant en chef, assurant la liaison avec les autres organes dont il est numéro 1 : gouvernement, parti, armée. Cette équipe a, très longtemps, été dirigée parJosé « Pepín » Naranjo, un ancien du Directoire des Étudiants qui avait été ministre de l’Intérieur en 1959. Ce « directeur de cabinet » va décéder précisément en cette fin de 1995. « À la tâche », dirait-on, tant les journées sont longues – à en croire Alcibíades Hidalgo, un ex-représentant de Cuba auprès de l’ONU qui fut aussi chef de cabinet de Raúl avant de s’exiler (2002) en Floride. Car Fidel arrive souvent au bureau vers 15 heures et travaille jusque tard la nuit, mais ses collaborateurs doivent être là dès le matin… José Miyar, dit « Chomy », très proche du
comandante
, est secrétaire de ce Conseil d’État, que préside Castro, depuis 1980. Sa qualité de médecin lui a conféré une forte influence parce qu’il veille non seulement sur l’emploi du temps et les rendez-vous de Fidel, mais également sur ses menus. Jesús Montané, ancien de la Moncada et de la Maestra, est, pour peu de temps encore, à soixante-douze ans, un discret aide de camp. Il existe aussi un « entourage » que Tad Szulc a comparé à celui d’un « grand d’Espagne ». On voit là tant Alfredo Guevara, l’homosexuel « patron » du cinéma cubain, que Manuel Piñeiro, ex-chef du service secret G2 puis maître des « coups » latino-américains. Un mélange de compagnons des jours héroïques et de nouveaux venus. « De baladins et d’argousins », dira plus crûment un diplomate français…
Fidel, cependant, cache son « privé » comme peu de politiques l’ont fait. Cela concerne d’abord ce que l’on pourrait dire sa « vie intérieure ». Tout être humain,
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