Fidel Castro une vie
d’interlocuteur « normal » du régime à laquelle elle aspirait ; et ce dernier a, sur le moment, quelque peu amélioré son image de système intolérant. On peut aussi plaider que les deux y ont perdu : Castro, la suite le montrera, ne desserrera pas son monopole sur le pouvoir ; en contrepartie de quoi la crédibilité de sa parole en sortira plus écornée encore, si possible.
Et Dieu est entré dans La Havane
est le titre du livre empathique que l’Espagnol Manuel Vázquez Montalbán a publié,après la visite du pape, sur la situation de Cuba à la fin du XX e siècle. Or là où « Dieu » n’a pas réalisé de miracles pour l’ordinaire des Cubains, un autre personnage va y réussir : Hugo Chávez. Élu président du Venezuela fin 1998 sur un programme socialisant, cet officier deux fois putschiste (1992) et vite libéré (1995) va faire sa première visite d’État à Cuba juste quinze jours après sa prise de fonction, en février 1999. Castro lui rendra la politesse à l’automne, dans une liesse populaire sans égale pour lui depuis des lustres. Le 30 octobre, un accord capital sera passé : Caracas livrera chaque jour à Cuba 53 000 barils de pétrole brut (le tiers de sa consommation) à des taux préférentiels et avec des facilités de paiement. En échange de quoi La Havane enverra des milliers (de vingt mille à trente mille, les chiffres sont flous) de médecins et infirmiers, alphabétiseurs et « entraîneurs sportifs », ainsi que des médicaments et des équipements médicaux dans lesquels l’île excelle.
Castro a trouvé en Chávez un homme selon son cœur : pour l’anecdote, il partage sa passion du base-ball (les deux se taillent une place dans les compétitions entre équipes de leur pays respectif – Hugo, qui est de vingt-huit ans plus jeune, sur le terrain, et Fidel sur le banc du sélectionneur). Et, surtout, le
Lider
découvre en son homologue un « fils spirituel », lequel ne récusera pas cette paternité – même si, quant à lui, et en dépit d’un verbe torrentiel, apocalyptique, où il l’emporte souvent sur le Cubain, il laisse s’exprimer une presse libre et tient des élections plutôt régulières. Preuve de sa sollicitude : Fidel lui conseille de « renforcer sa sécurité ». Mais, plus que tout, Chávez va être ce dispensateur d’énergie à bon marché qui faisait défaut à l’île depuis la chute de l’Union soviétique en 1991 : un sauveur.
Là où la Révolution armée du
Lider
cubain n’avait mis en branle, et pour un temps bref, que le Nicaragua et la Grenade, le « bolivarianisme » de Chávez (cette conviction que l’Amérique latine doit s’unir pour faire pièce aux États-Unis), appuyé sur une « diplomatie pétrolière » tonique, saura embarquer dans des projets d’envergure, réalistes ou parfois moins, des gouvernants de grands pays tels la Bolivie, le Pérou, l’Équateur, l’Argentine même, en une dialectique à laquelle participent plusieurs gauches
latinas
après leurs accessions au pouvoir(démocratiques ou teintées de putschisme) qui se multiplient dans les années 2000. On observera, dans les pays andins, la volonté nouvelle de faire droit à une très ancienne revendication indigéniste : dans l’ordre chronologique, après Lula au Brésil, le colonel Lucio Gutiérrez en Équateur (2002), Nestor Kirchner en Argentine et Tabaré Vázquez en Uruguay (2004), et Evo Moráles en Bolivie (2005).
En revanche, la tactique fidéliste de saisir toute occasion de saturer l’arène multinationale (ibéro-latino-américaine notamment) va connaître quelques ratés. Car, de plus en plus, ses pairs lui demandent, en contrepoint de leur soutien contre l’embargo américain, de prendre de clairs engagements d’ouverture démocratique et de respect des droits humains. Et, parfois, lui qui ne cède jamais sous la pression finit par dire oui. Il l’avait fait pour la première fois lors du VI e Sommet ibéro-américain de Viña del Mar, au Chili, semble-t-il parce qu’il a détesté qu’on esquisse un parallèle entre son régime et celui instauré, dans le pays hôte, par le général Pinochet de 1973 à 1990. Il a renouvelé sa promesse verbale lors du I er Sommet Europe-Amérique latine, à Rio, en juin 1999. Et il a de nouveau été mis sur le gril chez lui, à La Havane, à la mi-novembre 2000, pour le IX e Sommet ibéro-américain, avec une insistance qui devait beaucoup à celui qu’il tient pour un de ses pires
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