Fidel Castro une vie
ennemis : le Premier ministre conservateur espagnol José María Aznar, qu’il surnomme « la savate de Franco ».
La circonstance était pourtant auspicieuse : l’année des quatre décennies de la Révolution. Et nul moins que le roi Juan Carlos avait fait le déplacement dans cette île qui avait abrité les premiers pas, en 1511, de la colonisation espagnole du nouveau monde. Or, Fidel ne se cache pas de nourrir une forme d’estime pour « ce vrai gentleman ». Et voici que celui-ci demande à Fidel, en le tutoyant avec son aristocratique simplicité, d’établir dans son pays « une démocratie totale ». L’humour du rapprochement de ces deux termes ne pouvait évidemment pas échapper à un aussi fin manieur des mots du castillan que l’est Castro ! Là encore, le
Lider
, pincé, acquiesce. L’orage passé, il déclarera avoir écouté ce genre d’appel « avec le sourire de la Joconde et la patience de Job ».Rien de tout cela n’était transmis aux Cubains par la presse révolutionnaire.
Cet épisode désagréable achevé (plusieurs chefs de gouvernement s’étaient, en outre, fait un point d’honneur de rencontrer des dissidents), Fidel se vit offrir par le destin (et aussi par sa propre politique) la chance de passer du deuxième au troisième millénaire de la façon qu’il aime : dans une formidable tension épique. L’histoire est belle et cruelle à la fois : c’est celle d’Elián González. Le monde entier en a eu connaissance par un reportage ou l’autre, entre la fin de 1999 et la mi-2000. Embarqué avec sa maman et une douzaine d’autres personnes dans une de ces précaires
balsas
soutenues pas des pneumatiques, auxquelles les candidats cubains à l’exil sauvage confient leur destin entre la côte septentrionale de l’île et la Floride, « Eliancito » s’est retrouvé, le 25 novembre, naufragé et orphelin de mère, soutenu, avec trois compagnons, sur une chambre à air et (pourquoi ne pas imprimer la légende) des dauphins, avant d’être sauvé par deux pêcheurs au nord-est de Miami. Accueilli par des cousins puis un grand-oncle, dans l’indifférence proclamée du père resté à Cuba (« Je n’ai rien perdu à Miami… »), Elián commença, après que la presse américaine eut multiplié ses reportages, à être réclamé… par son géniteur. C’est que, entre-temps, les Castro avaient décidé de faire du « cas Elián » une cause nationale. Il est vrai que les anticastristes de Floride avaient, les premiers, battu le tambour. Asile politique ou droit de garde paternel ? Immigration et Justice américaines devraient trancher. Fidel multiplia les déclarations et de gigantesques manifestations. Finalement, la Cour suprême US parla, et Elián fut arraché
manu militari
à son oncle et remis à son père en juin 2000, à Washington. Ce dernier a, depuis, été élu à l’Assemblée nationale. Et Elián, élève à l’école militaire de Matanzas, protégé tel un bijou de la Couronne, est devenu un personnage, parfois honoré de la présence d’un Castro à son anniversaire. Fidel fera de ce combat pour le retour d’Elián le point de départ d’une « bataille des idées » dont il se dira le « soldat ». Cette resucée du « Ici personne ne se rend » des années 1960 deviendra la théorie de son refus de réformer, sur laquelle il s’arc-boutera toute la première moitié des années 2000.
Tel « castrologue » affirme que l’épisode Elián a été « une grande victoire » pour Fidel… Et s’il n’en était rien ? Car, par-delà l’émotion normale suscitée par le sort d’un enfant (plus, il est vrai, parce qu’il semblait pouvoir être « retenu » aux États-Unis que pour avoir failli perdre la vie en même temps que sa mère), « Eliancito » pourrait aussi avoir interpellé l’île en ceci que son destin a, pour partie, échappé à Castro – celui à qui nul n’échappe à Cuba. Car, si on fait le compte, ils ne sont pas si nombreux, passés les temps héroïques de la Moncada, la Sierra ou l’Angola, les Cubains à devoir une vraie notoriété à autre chose que la grise promotion dans les instances du régime. Cherchons : le vieux chanteur Compay Segundo et ses complices Ibrahim Ferrer, Elíades Ochoa, Omara Portuondo et Rubén González, (re)surgis lorsque, en 1996, le guitariste américain Ry Cooder a enregistré le disque
Buena Vista Social Club
; son jeune collègue Carlos Varela, qui s’efforce de naviguer entre «
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