Fidel Castro une vie
d’évidence inspirée du Zola de 1898. Elle est signée « Fidel Castro, 28 janvier 1952, au jour anniversaire de la naissance de Martí. »
Le texte du réquisitoire fait grand bruit. Et Fidel repart à l’assaut. Sa dénonciation porte, cette fois, sur le pacte des gangs de 1949. L’avocat a découvert rien de moins que deux mille « porteurs de bouteilles », selon l’expression en usage pour désigner des personnes dotées de sinécures publiques – encore dites « fonctionnaires libres ». Castro tonne : « Je rends Prío responsable de notre tragédie devant l’histoire de Cuba. » Tant d’emphase se révélera remarquable prescience. Mais cet activisme effraie les caciques. Chibás mort, les chefs « orthodoxes » se sentent tenus à la prudence. Aussi Castro n’est-il pas agréé sur la première liste de candidats du parti. Il doit recourir à des sortes de « primaires sauvages » pour faire réparer cet « oubli ». C’est là que se révèlent utiles ses prestations juridiques gratuites. C’est en effet vers les habitants de zones où il avait été actif (« une masse très saine ») que Castro se tourne. S’aidant du fichier du parti, il remplit, avec ses amis de l’ARO, des milliers d’enveloppes. Et les jeunes gens glissent dedans autant de lettres ronéotypées. C’est là une méthode sans précédent dans la République. Mais l’impétrant député ne pouvait évidemment pas s’offrir le luxe d’acheter tant de timbres-poste. Aussi estampille-t-il ses envois avec le tampon parlementaire du Parti orthodoxe. « Je n’avais pas le droit, mais je n’avais pas le choix », dira Fidel à Martín. La démarche réussit : les militants orthodoxes de Campo de Hueso, quartier populaire de La Havane, proposent la candidature du jeune avocat. « Ils ne pouvaient déjà plus m’arrêter », se flattera Fidel. Mais moinsd’une semaine après ce véritable plébiscite, Batista s’empare du pouvoir…
Fidel aurait-il été élu le 1 er juin 1952 ? Nul n’en doute. Qu’aurait-il fait ensuite ? Sénateur en 1956 ? président en 1960 ? Castro aurait-il pu être le nouveau Chibás, puis le Perón de Cuba ? Ou son Gaitán ? Fascinantes questions. Les réponses ne peuvent être que subjectives. À notre sens, seul l’assassinat aurait pu arrêter sa marche vers le pouvoir. Avait-il une chance de parvenir aux sommets par les voies de la démocratie ? Son verbe, son énergie lui auraient d’évidence valu l’assentiment populaire – ce qui lui aurait permis de contourner les préventions des appareils, orthodoxe ou autre. Mais, un jour ou l’autre, Castro se serait heurté aux forces armées. Au sein d’une de ces sociétés latino-américaines qui allaient se militariser à vitesse grand V à partir des années 1960 (pour faire pièce au… castrisme, mais pas seulement), Fidel n’était pas un centurion. Il a donc dû le devenir…
« Comment aviez-vous pu songer à une carrière politique “bourgeoise” en vous présentant à la députation ? », a-t-il été plus d’une fois demandé au maître de Cuba. Conscient de la suspicion d’opportunisme, Fidel n’a pas esquivé le thème. À l’Américain Lee Lockwood, il a expliqué : « Je pensais utiliser le Parlement comme point de départ pour y établir une plate-forme révolutionnaire et motiver les masses en ma faveur. » Une fois le peuple convaincu que le programme révolutionnaire ne serait jamais approuvé par le Parlement, a-t-il expliqué en 1974 à Martín, « je voulais commencer à travailler de façon révolutionnaire en faveur de ces lois ». Castro n’aurait pas eu de scrupule à se prévaloir de son immunité parlementaire « pour se mouvoir plus librement et aussi conspirer plus librement ». Ce parfait Machiavel explique : « De longue date, et sans trêve j’inclinais à l’action. » Il s’agissait de « rompre avec la légalité institutionnelle et prendre le pouvoir au moment opportun ». Le début des années 1950, en toute certitude, était peu favorable : « Il y avait une telle campagne maccarthyste, un tel bombardement à la radio, à la télévision, dans les revues, partout, que ça avait fini par influencer les gens. Toute cette presse contribuait à freiner toute avancée sociale. » En outre, « les masses croyaient que tous les malheurs du temps venaient de la non-observationde la Constitution, de ses préceptes, des lois bafouées ». Elles ne comprenaient pas « la cause réelle de la maladie
Weitere Kostenlose Bücher