Fidel Castro une vie
de son avenir et sensibleaux grandes houles d’une partie du monde : la décolonisation des Indes et de l’Indonésie, le triomphe de Mao en Chine, les soulèvements antifrançais en Indochine et anti-anglais au Kenya, les mécomptes américains en Corée… De ces événements, l’écho parvient de façon d’autant plus nette que la presse du pays voisin, si influente, en rend amplement compte.
Peut-être gagné durant son séjour à Daytona Beach, en Floride, par cette pente yankee vers le
benign neglect
, Batista a perdu le contact avec sa patrie. Il était pourtant « cubanissime » – beaucoup plus que Castro ! Le modèle même du Caraïbe, s’il en est : sang-mêlé d’Espagnols, d’Indiens, de Noirs et de Chinois. Fils d’un paysan cultivant un lopin de terre dans l’Oriente, obligé de travailler à neuf ans, orphelin à treize, d’abord grouillot dans une épicerie puis garçon de café, cheminot, barbier : les fées ne s’étaient guère penchées sur son berceau. À vingt ans, il découvre l’armée, s’y engage pour sept ans puis repique. Une solde assurée – ce qui, quand on n’est rien à Cuba dans les années 1920, n’est pas négligeable –, mais aussi un espoir de promotion : de fait, il devient sergent de première classe. L’armée offre aussi une formation : Batista apprend la sténo et la dactylographie. Dans la décomposition de la fin du « règne » de Machado, il est en contact avec ABC, l’un des groupes qui préparaient le renversement. Avant la fuite du tyran, le 12 août 1933, Batista n’était rien ; vingt-trois jours plus tard, il était l’homme le plus puissant de Cuba : le chef des forces armées.
Le 5 septembre 1933, en effet, au lendemain du « soulèvement des six sergents », une « pentarchie » est installée sous la pression des étudiants, qui met Grau à sa tête. Le professeur proclame : « Cuba aux Cubains ! » C’est là un cri de guerre antiaméricain. Batista comprend que la politique de « bon voisinage » avec l’Amérique latine que vient de lancer Roosevelt ne peut aller aussi loin dans la tolérance : il renverse donc Grau. Rassurés, les États-Unis suppriment l’amendement Platt et rendent officiellement sa souveraineté à Cuba. D’abord, Batista réprime tous azimuts : ci-devant officiers cassés, grévistes, étudiants… Quatre présidents fainéants se succéderont jusqu’en 1940, tous actionnés par Batista qui ne quitte quasiment jamaisle camp Columbia. En 1940, il opère une brillante manœuvre : il démissionne de son poste de major général ; l’armée se soulève ; il reprend ses fonctions. Ayant ainsi démontré sa force, il convoque une constituante. Celle-ci rédige une superbe charte démocratique. En juillet 1940, à trente-neuf ans, Batista est élu président.
En 1952, l’homme a beaucoup changé. L’oisiveté a transformé le chef tonique en un poussah jouisseur et gourmand – avec une passion pour le champagne. Le fils du coupeur de cannes est devenu coquet, jusqu’à l’extravagance. Il a aussi troqué sa première femme pour une jeunesse assez éclatante et dépensière dont il est toqué. Le soudard dégrossi de 1933 fera des efforts touchants pour être admis dans la bonne société qui lui avait jadis refusé l’entrée du Biltmore Club, le plus huppé de La Havane. Il affecte un langage aussi précieux que ridicule. Il a également entrepris de collectionner des objets ayant appartenu à Napoléon : le pistolet d’Austerlitz et la longue-vue de Sainte-Hélène sont à lui ; ils sont aujourd’hui présentés dans un musée à La Havane. En vieillissant, Batista développera une passion pour le renseignement. Chaque matin, il lit quatre-vingts pages de rapports fondés sur des écoutes téléphoniques, commérages et autres, sur la vie privée de ses adversaires – et de ses amis.
Il se met à jouer dans les soirées de Daytona Beach. La canasta le passionne, mais le gain aussi, ce pour quoi il peut même tricher : en servant les boissons, ses domestiques reluquent le jeu de ses adversaires. (Ce fait a été rapporté par un de ses Premiers ministres, García Móntes.) Ce goût pour le jeu explique-t-il le feu vert qu’il donne, sitôt revenu au pouvoir, aux truands américains, les Meyer Lansky, les Lucky Luciano, pour installer des salles dans la capitale cubaine, avec leur cortège de boîtes de nuit et l’explosion de prostitution qui s’ensuit ? La vieille Havane comptera, dit-on, dix
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