Fidel Castro une vie
cœur de Santa Clara seront réduits, un à un, les jours suivants. L’aviation,cependant, mitraille indistinctement des objectifs militaires et des villes libérées : Batista fait la guerre non plus à une faction mais au peuple, coupable de le délaisser.
Cependant, en Oriente, la pince se resserre autour de la capitale. Raúl et ses lieutenants réduisent les dernières garnisons au nord-est. À l’ouest, le 28 décembre, Fidel a la satisfaction de prendre Palma Soriano, dernier verrou avant Santiago. Huber Matos s’est, trois jours plus tôt, emparé de la station des véhicules de la police, sur la colline de Boniato, et le drapeau rouge et noir du M-26 est, dès Noël, visible par les habitants de Santiago.
Dès lors, la politique prend le dessus : Fidel est sollicité pour participer à une conjuration civique antibatistienne. Il réplique en demandant à rencontrer le seul général Cantillo. Le commandant de l’Oriente accepte. L’entrevue a lieu le 28 décembre à la sucrerie América, à une cinquantaine de kilomètres en arrière de Santiago. Le général est venu en hélicoptère, avec un jésuite qui a servi d’intermédiaire. Fidel a une crainte dont il fait part à Cantillo : que Batista s’enfuie. Pour le reste, chacun laisse entendre à l’autre ce qu’il a en tête. Cantillo songe à une junte où il serait avec Castro. Fidel, lui, propose à son interlocuteur que, à l’issue d’un cessez-le-feu concordé jusqu’au 31 décembre, il fasse passer la Moncada du côté des rebelles. Il pourrait alors être ministre de la Défense, suggère l’entourage du révolutionnaire. Le chef militaire laisse alors la Moncada à son second, le colonel José Rego, et file à La Havane… rendre compte à Batista.
Le chef de l’État se montre faussement furieux de l’entrevue avec Fidel : ne l’ignorant pas grâce à ses services, il ne l’a tout de même pas empêchée. Puis il confie à Cantillo qu’il songe à « quitter le pays ». Il laisse entendre au commandant de l’Oriente qu’il pourrait être l’homme de la transition, afin d’éviter un bain de sang comparable à celui qui a suivi la chute de Machado en 1933. Rendez-vous est pris pour le 31 décembre en soirée, trois jours plus tard. Cantillo câble à Rego d’obtenir de Castro quelques jours de délai. Flairant la supercherie, Fidel annonce que le 31 décembre, à l’expiration du cessez-le-feu, ses troupes avanceront pour prendre Santiago.
Cantillo, qui a fait un bref retour en Oriente le 30, repart pour La Havane le 31. Batista lui confirme ses intentions : il s’en ira peu après minuit, le soir même. Le président convoque les dignitaires pour un réveillon d’apparence innocente à Columbia. Au menu des quelque soixante invités : poulet-riz, champagne et café – rapportent John Dorschner et Roberto Fabricio dans
Vent de décembre.
Les vœux échangés sont d’évidence moroses. À minuit et demi, Cantillo devient chef d’état-major général. On tire de son lit le plus vieux juge de la Cour suprême, Carlos Piedra, et on lui apprend que, aux termes de l’article 149 de la Constitution, il est président de la République, en raison des démissions du chef de l’État et du président du Sénat !
A 2 h 30 du matin, deux DC-4 des Aerovias Q, la compagnie privée de Batista, s’envolent de la piste située dans le camp. L’un part pour Saint-Domingue avec l’ex-chef de l’État. L’autre file en Floride. Outre la femme et deux enfants de Batista (les autres sont déjà aux États-Unis) sont à bord le Premier ministre, le président élu Rivero Agüero, le président du Sénat, le maire de La Havane et tout le haut état-major. « Un chargement de cadavres vivants », écrira plus tard l’un d’entre eux. Batista laisse une déclaration : sa démission répond à une demande des chefs militaires et à la suggestion de l’Église et d’hommes d’affaires. D’autres dignitaires et sbires s’enfuiront dans les premières heures du nouvel an 1959, à bord d’avions et de bateaux – la plupart vers Key West et Miami. Les plus célèbres sont Rolando Masferrer, ex-patron du MSR devenu le chef des sinistres « Tigres » de Santiago, et Meyer Lansky, un truand américain connu comme « le roi des jeux à La Havane ». Trois cents autres « batistiens » se réfugieront dans des ambassades latino-américaines, dont Eusebio Mujal, secrétaire, depuis plus de vingt ans, de la Centrale «
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