Fidel Castro une vie
réputation de marxiste, qu’il faut pour l’heure occulter, qui explique cette discrétion ?
Le 2 janvier au matin, Fidel s’ébranle vers l’ouest. Il emmène avec lui quatorze tanks de la Moncada et l’hélicoptère Sikorsky. Il n’y aura pas le moindre combat et les blindés deviendront un élément de la parade des vainqueurs. Au départ, ceux-ci sont un millier, à qui se sont joints autant de
casquitos
batistiens ayant tôt choisi la fraternisation. Chemin faisant, la troupe s’enrichira de barbes de trois jours et de peaux bien peu tannées.
Sa première brève nuit de vainqueur, Fidel la passe au sanctuaire de la Vierge de Charité d’El Cobre, au nord de Santiago. C’est là un acte réparateur : la semaine suivant la grève avortée du 9 avril 1958, des rebelles avaient, en une mêlée confuse, endommagé l’édifice ; ce vandalisme n’avait pas valu que des amis à « la cause ». Fidel entend donc démontrer que sa révolution n’a rien d’antireligieux. Tous les Cubains peuvent d’ailleurs voir, en ces jours où ils font connaissance avec leur nouveau maître, une croix se balançant à son cou. Plus tard, le
Lider
expliquera qu’il n’y attachait aucune signification transcendantale : elle lui avait été donnée par une jeune Cubaine. L’objet, pourtant, rassure les inquiets.
La rumeur voulait que Fidel se rue sur la capitale pour prendre possession de Columbia, siège symbolique du pouvoir.Car l’arrivée de Cienfuegos et de Guevara n’a pas tout résolu. La grève générale se poursuit. La présence à La Havane de trente mille policiers et soldats, démoralisés mais non encore désarmés, face à un maximum de mille cinq cents rebelles – y compris ceux du second front de l’Escambray et du Directoire – est dangereuse. Mais le commandant en chef demeure fidèle à une méthode : tenir « le pré carré » plutôt que courir en terrain peu sûr. Parti de l’Oriente solide, il n’arrivera à La Havane, dont il fera sa capitale, qu’une fois vérifiée, à travers l’île, la réalité de sa victoire.
La remontée de la caravane dure une semaine. Une semaine pour parcourir les mille kilomètres séparant les deux cités maîtresses de Cuba. C’est que, dans chaque localité de la
carretera
central
, le cortège est arrêté par des foules avides de connaître le vainqueur et désireuses de voir leur lieu de vie enrichi par une station, si brève soit-elle, du
Lider maximo de la revolución
. Mais lorsque Fidel prend la parole, ça dure ! Plusieurs fois par jour, il relance les grands thèmes de son discours de Santiago. Celui qui revient avec le plus d’insistance est : « Le seul vainqueur, c’est le peuple. »
Oriente, Camagüey, Las Villas, Matanzas, La Havane : seule l’extrême occidentale province de Pinar ne sera pas touchée par la grâce d’une visite initiale. À Holguín, Jules Dubois, du
Chicago Tribune
, est le premier étranger à interviewer Castro. « Êtes-vous communiste ? » : telle est la première question de l’Américain. « Je n’ai jamais été et ne suis pas communiste » est la réponse. Mais Fidel ajoute : « Je ne reconnais aucun juge devant lequel un homme ait à rendre compte de ses idées. » Des nationalisations en vue ? « Il est stupide de craindre une pareille chose de notre Révolution. » Du ressentiment contre les États-Unis ? « Soyez sûr que nous serons les amis des États-Unis tant qu’ils nous seront amicaux. »
Les discours ont lieu de nuit comme de jour. Parfois, Fidel commence à 23 heures et finit à 2 heures du matin. Ce n’est pas trop de dire qu’il n’a pas dormi depuis 1958 ! Une fois, « il était si fatigué qu’on le vit vaciller devant le micro », racontent Dorschner et Fabricio. Le père Guzmán, le jésuite qui lui a servi d’estafette les jours cruciaux de fin 1958, le retient par le dos de sa ceinture pour l’aider à garder son équilibre. Essaie-t-ild’éviter Sancti Spiritus ? Les foules le forcent à y faire un détour. Santa Clara a droit à quatre heures de discours. Cienfuegos, pour laquelle il fait un long crochet, quatre heures trente. Matanzas, trois heures trente seulement, mais c’est parce qu’il doit ensuite être interviewé par la télévision. Et partout, au bord des routes, des femmes s’avancent pour l’embrasser ; et des hommes aux allures de paysans lui crient «
Gracias, Fidel !
Merci, Fidel ! »
L’accueil délirant fait à Castro contraste avec la froideur avec
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