Fidel Castro une vie
gouvernementaliste » des travailleurs cubains. À Saint-Domingue, Batista rejoint « la plus célèbre réserve zoologique d’autocrates latino-américains » : outre le maître de maison, Trujillo, il y a aussi là, en transit vers l’Espagne de Franco, l’Argentin Juan Perón.
La nouvelle de la fuite est tôt connue, le 1 er janvier 1959. Dans la capitale, la police s’éclipse. On pille aussitôt les parcmètres, invention de Batista, et les machines à sous, autre legs du régime. Les photos en feront le tour du monde. Mais desmilitants du M-26, au brassard rouge et noir, prennent possession des carrefours. Ils s’emparent aussi des stations de radio. Les locaux de journaux et des villas de dignitaires sont réquisitionnés. Il n’y a pas de vrais débordements. On ne comptera qu’une douzaine de morts.
À Santiago, la nouvelle de la fuite de Batista déchaîne une explosion de joie : la rue appartient aussitôt aux sympathisants de Fidel, autant dire, ici, à toute la population. Mais le commandant en chef, à son QG de la sucrerie América, ne partage pas cette liesse. Jamais on ne l’a vu aussi blême. Il a reçu communication, par le colonel Rego, de la Moncada, que le « nouveau chef d’état-major des armées, le général Cantillo », souhaite « un cessez-le-feu dans toute la République sous réserve qu’il soit demandé officiellement par l’honorable président, le docteur Carlos Piedra ». Rego a ajouté de sa main : « Docteur Castro, bonne année. » Fidel juge que Cantillo a trahi ses engagements : une combinaison tendant à court-circuiter la Révolution a été ourdie en accord avec Batista, qui a ainsi pu s’enfuir « avec les millions volés au peuple ». Par la radio, Fidel appelle alors les Cubains à demeurer « sur le qui-vive » car, « selon toute apparence, un coup d’État s’est produit dans la capitale ». Il use pour la première fois de façon publique, ce 1 er janvier 1959, de son titre de « commandant en chef » qui, près d’un demi-siècle durant, va trancher comme une Durandal la vie publique de l’île – le seul titre qui va compter, le dernier qu’il abandonnera. Il ordonne : « Nos troupes ne doivent pas cesser le feu… Aucun pourparler ne sera entrepris, sauf avec les garnisons qui veulent se rendre. La dictature s’est effondrée mais sa chute n’est pas le triomphe de la Révolution. Un coup d’État militaire aurait pour seul effet de prolonger la guerre. Non à une fausse victoire ! Travailleurs, préparez-vous à la grève générale. »
À Cienfuegos et Guevara, Fidel donne l’ordre de se porter toutes affaires cessantes vers les camps militaires de la capitale : Columbia et la forteresse de La Cabaña, qui domine l’entrée du port. Il avait précisé au Che que, en semblable circonstance, il serait « d’importance vitale que la poussée sur La Havane soit effectuée exclusivement par des forces du M-26 ».
Puis Castro lance un ultimatum à la garnison de Santiago de se rendre avant 18 heures ce 1 er janvier, faute de quoi ses troupes entreront dans la ville. Le dénouement se produit lorsque, en milieu d’après-midi, le colonel Rego rejoint en jeep Castro au-dessus de Santiago. Il lui apporte un message de Cantillo : « Informez le docteur Castro que la République n’a personne à sa tête et que nous attendons qui il désignera pour lui remettre la présidence. » La carrière du juge Piedra aura duré douze heures !
Quant au « chef d’état-major », il est désormais seul à la tête d’une armée dont les unités fraternisent avec les rebelles ou se rendent – comme, en tout dernier lieu, la caserne de Santa Clara. Castro refuse tout contact avec Cantillo, « ce traître ». Rego propose alors à Fidel qu’un de ses adjoints vienne parler aux officiers de sa caserne. Raúl est désigné. Sa mission aboutit, la garnison se donne aux rebelles. Rego est, sur-le-champ, nommé chef d’état-major de « l’armée mixte ». Dix jours, il cosignera avec Raúl. Puis il sera nommé attaché militaire au Brésil. Il s’exilera en 1960.
Tandis que Santiago est ainsi ouverte à Castro, Cantillo, conscient d’être dépassé, fait libérer de l’île des Pins le groupe des officiers du complot des « purs ». Le jeudi 1 er janvier en début de soirée, au camp Columbia, il transmet ses pouvoirs au colonel Barquín. Celui-ci nomme ses anciens compagnons de captivité aux principaux postes militaires. Il prend, en en référant
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