Fidel Castro une vie
tous fusiller quand ils se rendront. » Il n’en fera rien pourtant, conformément à sa conduite constante envers les prisonniers. La prise de Guisa, le 6 décembre, commence l’encerclement de Bayamo dont la caserne, durant les deux années de la Maestra, a été le pivot des gouvernementaux. Sont emportées, en deux semaines, Baire, Contramaestra et Jiguani : un large tronçon de la route centrale est désormais contrôlé par les rebelles. L’étouffement de Santiago se fait plus précis.
Le 20 décembre, alors que le Che commence sa foudroyante campagne, la situation apparaît soudain aux anticastristes telle qu’elle est : désespérée. Pour la première fois, le département d’État US fait parvenir un mémorandum complet au président Eisenhower sur la situation à Cuba. Elle est grave : 80 % de la population est contre Batista, et Castro est à la fois très hostile aux États-Unis et « irresponsable » (rappel des prises d’otages). Le 23 décembre, répondant avec un an de retard aux suggestions des Bureaux, le chef de l’exécutif ordonne qu’on cherche une « troisième force ». Washington va, en huit jours, tenter trois scénarios. On aidera au transport à Cuba de l’ex-Premier ministre de Prío, Tony Varona. Feu vert sera donné à Justo Carillo, responsable d’un petit mouvement démocrate-chrétien, « Montecristi », de libérer de l’île des Pins le
puro
Ramón Barquín. Et des armes seront envoyées, le 31 décembre, au second front de l’Escambray.
Les États-Unis n’ont pas su imaginer une politique intermédiaire entre la grosse cavalerie – l’intervention militaire, comme tant de fois depuis le milieu du XIX e siècle – et l’improvisation. Non que leurs instances compétentes – département d’État, CIA – n’aient eu connaissance de la situation. Mais le débat s’est focalisé sur la question : Fidel est-il communiste ? Oui ! Non ! Oui ! En foi de quoi Washington a continué de soutenir politiquement Batista tout en lui retirant l’essentiel de son aide militaire. C’était là cumuler les inconvénients.
Côté batistien, l’effondrement de l’Oriente provoque une réaction classique : les militaires complotent. Mais un obstacle paralyse les velléités : il se nomme Batista. Depuis un quart de siècle, il est la référence suprême des casernes. C’est lui qui a reconstruit l’armée sur son modèle de sergent promu. Tabernilla, son chef d’état-major à la fin 1958, avait été le premier officier à lui apporter, en 1933, l’allégeance de ses ex-supérieurs : le
chief
, comme il l’appelle, l’a donc récompensé. Et le premier des militaires, à son tour, contrôle une camarilla où ses deux fils sont, respectivement, patron de l’armée de l’air et secrétaire du chef de l’État…
Le Che prend, les unes après les autres, les villes, petites puis moyennes, qui forment un cercle autour de Santa Clara, capitale de Las Villas. La population accueille bien les rebelles. Syndicats et associations s’offrent à collaborer à un ordre nouveau. Fomento, huit mille habitants, devient ainsi, le 23 décembre, la première « cité révolutionnaire » de Cuba. Puis, dans les trente-six heures avant Noël, basculent Placetas, Remedios, Cabaiguán, Guayos, Manicaragua, Ranchuelo, Cruces. Sancti Spiritus sera la première ville de plus de cent mille habitants à basculer dans les temps nouveaux.
Le matin de Noël, Santa Clara, sixième ville du pays, défendue par deux mille cinq cents soldats et policiers, se retrouve encerclée. Batista envoie le seul renfort terrestre qu’il ait expédié à ses troupes depuis des semaines : un train blindé, avec trois cent cinquante hommes à bord. Or, celui qui en est le chef, le colonel Rosell, du Génie, et qui en aurait bien fait l’outil d’une conspiration contre Batista, s’enfuit soudain sur son yacht vers Miami !
Le train s’installe à la périphérie de Santa Clara. Protégé par une colline défendue par des soldats, il bat la ligne de communication entre la cité universitaire, devenue le QG du Che, et le centre-ville où les
barbudos
se sont glissés. Mais un détachement rebelle nettoie la colline et attaque le convoi à la grenade. Celui-ci entreprend de gagner le centre-ville, mais Guevara a fait arracher vingt mètres de voie, et le train déraille. Un combat s’engage mais, très vite, les officiers demandent une trêve, puis se rendent. Cinq points d’appui gouvernementaux au
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