Fidel Castro une vie
laquelle, le 5 janvier, Manuel Urrutia, président de la République officiellement proclamé le 1 er janvier à l’université de Santiago, est reçu à l’aéroport militaire de Columbia. Peu avant, il a fait connaître son gouvernement. Le choix du Premier ministre a surpris certains révolutionnaires : Miró Cardona, ex-bâtonnier, est certes un homme respectable, qui a pris position contre la dictature mais, sous les deux gouvernements
auténticos
, il a aussi plaidé des causes peu populaires. Ce choix avait pourtant sa logique : l’avocat n’avait-il pas, le 20 juillet 1958, été désigné « coordinateur » du Pacte d’unité signé à Caracas entre les forces hostiles à Batista ? Sa désignation (par Castro ? Urrutia ?) semble n’être qu’une confirmation.
La composition du gouvernement n’a rien pour surprendre : une moitié des ministres sont des hommes dont les noms disaient déjà quelque chose à la veille du coup d’État de Batista. Leur hostilité à la dictature les désigne pour une situation d’unité nationale. En particulier, Roberto Agramonte, candidat orthodoxe à l’élection de 1952, est aux Affaires étrangères. Rufo López-Fresquet, Orlando Rodríguez, Manuel Fernández, Elena Mederos : tous ceux-ci, observe Hugh Thomas, eussent été ministres en 1952, sans le coup d’État. L’autre moitié du cabinet, c’est la jeune garde castriste. Faustino Pérez reçoit un portefeuille créé, assure Franquí, sur une de ses intuitions subites : la « récupération des biens volés ». Manuel Ray – ingénieur, dirigeant du M-26 à La Havane durant la dernière année terrible de la dictature, auréolé de la gloire de centaines d’attentats – hérite des Travaux publics : à lui la reconstruction des ponts, des routes, des chemins de fer… Armando Hart, fidèle entre les fidèles de Fidel, reçoit, à vingt-huit ans, l’Éducation ; il est le seul dont la présence a été exigée par Castro.Martínez Sánchez, conseiller juridique de Raúl dans la Sierra de Cristal, un pur et dur, est à la Défense. Humberto Sorí-Marín, ex-authentique devenu procureur de la justice de la Sierra Maestra, et rédacteur de la « loi agraire » du 10 octobre 1958, se voit confier l’Agriculture. Le brillant Enrique Oltuski, responsable du M-26 pour Las Villas, benjamin du cabinet (vingt-six ans), officiera à la Communication.
Le 5 janvier, la grève générale a cessé comme avait disparu la menace d’un retour de flamme batistien. Mais Cienfuegos a proclamé la loi martiale à La Havane pour faire face à un ennemi inattendu : le Directoire. Entrés, eux aussi, dans la capitale aux premières heures de 1959, Chomón et Cubela ont aussitôt occupé l’université. Cela se comprenait, vu l’origine étudiante du mouvement. Mais ils se sont aussi emparés du palais présidentiel. Non que l’édifice, discrédité par Batista, signifiât beaucoup pour la conscience civique, mais c’est là que devait s’installer Urrutia ! Et le Directoire ne manifeste aucune intention de lâcher cette prise. Car il n’a reçu aucun ministère, alors qu’il estime avoir davantage contribué à l’affaiblissement de la dictature que certain orthodoxe ou tel authentique pourvu de maroquin. Cette discrimination, renchérit Cubela, est « contraire à l’accord unitaire de Caracas ». Les sympathisants du Directoire ont pris leurs quartiers dans le bureau du second étage et dans l’ex-appartement privé de Batista au troisième. Une photo fait le tour du monde : elle montre un jeune rebelle, évidemment barbu, en chapeau de
ranger
et
battle-dress
, en train de téléphoner, un pied négligemment posé sur un portrait gisant de l’ex-première dame, Marta Batista. Les fidélistes n’auront pourtant pas à recourir à la force : le Directoire sera réduit par une avalanche de télégrammes et une noria de personnalités rappelant les dissidents à la nécessaire unité. Ceux-ci rendent le palais à Urrutia le 5 janvier, en début de soirée ; ils accueillent même le président avec les honneurs.
Le 8 janvier au matin, parvenu à Cotorro, aux portes de La Havane, Fidel est rejoint, sur sa jeep, par son fils Fidelito. Le garçon, âgé de dix ans, n’a pas vu son père depuis les journées fiévreuses des préparatifs du
Granma
, fin 1956, à Mexico. Il est, ce jour, revêtu d’un petit treillis du meilleur effet, confectionnéspécialement pour lui. Ainsi entouré, le
Lider
aborde la capitale en
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