Fidel Castro une vie
la chute de Pérez Jiménez. Il entend remercier les nouvelles autorités militaires du Venezuela de l’aide fournie durant les derniers mois de la Sierra. Fidel voit aussi le président élu, Rómulo Betancourt. Avec ce social-démocrate connu à Mexico, le contact est sans chaleur. Castro, passé ici étudiant inconnu sur le chemin de Bogota en 1948, est, cette fois, accueilli par une foule en délire. Ce premier contact électrisant avec le sous-continent est du meilleur augure pour le Cubain.
La situation politique intérieure est étrange en ces premières semaines. Fidel est à la fois partout et nulle part. Partout : il se multiplie devant mille instances, y compris bourgeoises (le Lions Club !), pour expliquer sa Révolution, qui sera progressiste et démocratique. La jeune télévision traque ce personnage fait pour elle. Et aussi Castro n’est nulle part. Car il n’a pas choisi de bureau : le palais présidentiel est à Urrutia ; et Columbia, qui lui revient comme commandant en chef, ne lui plaît pas. Il a choisi un lieu étonnant pour se poser de temps à autre : le 23 e étage de l’hôtel Hilton ! C’est le point culminant de la capitale – en attendant la construction de la haute tour de l’ambassade soviétique ! Des barbus aux aguets modifient certes l’atmosphère ouatée de ce qui fut, quelques mois, le symbole de la présence yankee à Cuba. Et les cuisiniers se cognent parfois, la nuit surtout, contre le
Lider
, venu se confectionner un
milk-shake
!
Castro dirige-t-il déjà dans le détail ? Tad Szulc croit pouvoir baptiser « gouvernement secret » un « Bureau de planification et coordination » créé dès les premiers jours. Cette instance est présidée par Núñez Jiménez. Celui-ci a un peu côtoyé Castro à l’université, où il a étudié l’histoire et la géographie. Marxiste-léniniste convaincu, il est devenu un des adjoints du Che durant la campagne de Las Villas. Et, de fait, à ses côtés, travaille… Guevara – fait, le 9 janvier, cubain « par naissance ». On y note la présence régulière de Vilma Espín et celle, plus occasionnelle, de celui qu’elle vient juste d’épouser, le commandant militaire de Santiago, Raúl Castro, désigné dès le 21 janvier par Fidel comme son « successeur ». Pourquoi ? Face aux menaces qui, croit-il déjà, pèsent sur lui, il veut qu’on sache que d’autres à sa suite seraient « plus radicaux » que lui-même. La petiteéquipe s’installe à Tavara, faubourg de Cojimar, juste à l’est de La Havane. Le choix du site, selon Tad Szulc, est dû au fait que Guevara peut s’y refaire une santé, après les mois terribles de la Sierra Maestra.
La première tâche à laquelle s’attelle la petite équipe est la mise au point de la réforme agraire. Significativement, le ministre de l’Agriculture Sorí-Marín est tenu à l’écart. Ce n’est pourtant pas un tiède : cet avocat, devenu
comandante
, a été l’ardent procureur de la « République » rebelle de la Plata. Il est aussi le rédacteur de la première loi de réforme promulguée dans la Sierra. Et, en janvier, Sorí-Marín a fait partie du tribunal qui a condamné à mort le batistien Sosa Blanco. L’homme avait-il déjà donné un de ces signes de faiblesse qui le conduiront au
paredón
(poteau) en 1961 ?
Le gouvernement est donc court-circuité. Le premier à s’en apercevoir est le Premier ministre Miró Cardona. Il démissionne le 13 février – cinq semaines après son installation. Il le fait en dénonçant, calmement, les « pouvoirs parallèles » qui s’exercent dans la République. Par qui est-il remplacé ? Par Fidel. Quelques jours plus tôt, celui-ci a fait savoir à Urrutia qu’il ne refuserait pas le poste – à condition que les pouvoirs du Premier ministre soient élargis. De fait, le 7 février, le cabinet du modéré Miró Cardona a entériné cette réforme qui met fin, discrètement, à la Constitution de 1940. Le pouvoir législatif est transféré à l’exécutif ! Quant à Urrutia, il ne garde qu’un contreseing sur les « lois ». En principe, celui-ci lui donne un droit de veto. « Pas trop souvent », a précisé Fidel.
Le génie de Castro à échafauder des centres de pouvoir sans rapport avec les institutions se manifestera encore, la même année 1959, lorsque, pour mettre en œuvre la réforme agraire, on créera un institut
ad hoc
, l’Inra. Fidel en sera le président. Des crédits considérables iront à cette
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