Fidel Castro une vie
liesse. Ce nom même, « Castro », que les Cubains entendront désormais à satiété, « forteresse, acropole, éminence fortifiée », selon les dictionnaires, résonne comme une promesse : le peuple sera bien protégé.
Pour la majorité des
barbudos
, c’est leur première visite à La Havane. La plupart sont, en effet, des paysans des sierras pour lesquels « la ville », c’était Bayamo ou Santa Clara. La capitale compte, en ce début de 1959, un million d’habitants. Ceux qui se pressent à attendre le convoi des rebelles au long des rues sont des centaines de milliers. « Incroyable mêlée », commentera Fidel. Bloqué par la marée des véhicules venus au-devant de lui, le commandant doit prendre un hélicoptère jusqu’aux abords du port.
Les cloches sonnent, les usines font retenir leurs sirènes, les navires de guerre donnent du canon. Fidel gagne le palais présidentiel dans une jeep, inondé de confettis, salué par une dangereuse fantasia. Urrutia l’attend. On fait une photo du magistrat quinquagénaire aux éternelles lunettes noires et de l’avocat de trente-deux ans, quatre mois, trois semaines et six jours, son inséparable fusil à lunette à l’épaule. Du balcon, le commandant s’adresse à la foule. Il observe qu’entrer dans cet édifice ne lui a procuré aucune émotion. « L’endroit où j’aimerais vivre, c’est le pic Turquino », dit-il. Et, aussitôt, il invite la foule qui agite des milliers de drapeaux à se rendre à Columbia, à l’autre bout de la ville. Car, dit-il, « maintenant les tanks appartiennent au peuple… nul ne vous tiendra plus dehors ». Il demande qu’on le laisse rejoindre sa jeep sans qu’il soit besoin d’une escorte pour lui frayer un chemin. Très peu de Cubains le connaissent encore, mais beaucoup notent, ce jour-là, comme il est grand. Pas un Hercule, le visage est un peu mou, mais, en ces heures-ci, il y a en lui du demi-dieu. La foule s’écarte.
Le soir de ce 8 janvier, Fidel prononce, dans ce saint des saints du pouvoir – la grande base militaire rebaptisée ce jour-là « Camp de la liberté » –, le dernier discours de sa parade. C’est aussi la première des centaines de harangues télévisées qu’il prononcera au fil des lustres. Il promet la fin du culte de la personnalité. « N’ai-je pas raison, Camilo ? », demande-t-il à Cienfuegos, à sa gauche. « Tout à fait raison, Fidel », répond, rayonnant,le jeune commandant au visage christique. Mais « ne croyons pas que tout sera facile ; il est possible que tout devienne plus difficile ». Castro rassure pourtant : « Je suis certain que nous ferons la Révolution, que pour la première fois la République sera vraiment libre et que le peuple aura ce qu’il mérite. » Et une colombe blanche, les actualités filmées en attestent, vient se poser sur l’épaule droite du commandant, tandis que deux autres volètent autour de lui. On apprendra, plus tard, que c’est Celia qui, dans la Sierra, avait élevé ces volatiles. Pour le très catholique, conservateur
Diario de la marina
, organe de la vieille Cuba, « c’est là un signe du Seigneur, qui a envoyé ce symbole d’une paix que nous désirons tous ».
Fidel attaque enfin, avec violence, le Directoire qui a voulu faire bande à part les jours précédents : « Ces gens qui mettent en danger la paix, la tranquillité, la joie de millions de mères sont des criminels et des traîtres. » Deux jours plus tôt, le Directoire a soustrait d’une caserne un petit arsenal : « Pourquoi certains amassent-ils des armes ? demande le commandant en chef. Pour faire chanter le président de la République ? Pour menacer le gouvernement ? Ils veulent revenir à l’époque des
pistoleros
? Si ce n’est rien de ça, alors pourquoi ces armes ? » Et la foule de scander, joyeuse : «
Armas para qué ? Armas para qué ?
» Pour quoi faire, des armes ?
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1 . Ce livre, peut-être destiné à faire « reflotter » le mythe, est paru en France début 2012 chez Michel Lafon. Il s’agit des carnets (retouchés ?) des neuf derniers mois de la Sierra Maestra jusqu’à l’entrée à La Havane.
5
L A VICTOIRE ET L’éTABLISSEMENT
(
1959-1960
)
Les décisions révolutionnaires sont par nature éternelles.
Fidel Castro, 17 octobre 1960
Tout événement survenu la nuit de la Saint-Sylvestre a de gros titres le 1 er janvier : la « trêve des confiseurs » ne fait jamais l’affaire des journaux ! La couverture de la
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