Fidel Castro une vie
« conversion » de Fidel, et celle de son rapprochement avec le grand homme, on ne peut certes pas prendre l’affirmation de Grobart, même corroborée par Blas Roca, pour argent comptant.
L’une des tâches de Castro durant ces premiers mois est d’aider à la résolution des conflits du travail qui, comme toujours en pareille circonstance, ont surgi nombreux. Lorsque, fréquemment, il est sollicité pour arbitrer, il se montre à la fois préoccupé que l’incendie ne devienne pas incontrôlable et convaincu que les travailleurs doivent recevoir des satisfactions afin d’apprécier le nouveau cours des choses. De janvier à avril 1959, la plupart des conventions collectives de l’île sont renouvelées. Mais, dès juillet, les demandes d’augmentation de salaires seront cataloguées « contre-révolutionnaires ». EnOriente, la grande question est celle de la terre. Des distributions ont lieu sans attendre la loi de réforme. L’armée rebelle est aussi l’âme d’un renouveau des campagnes, saisies par la ferveur des
barbudos
. Partout, on voit des jeunes gens en treillis empiler des briques pour construire des maisonnettes en dur qui remplaceront les
boyos
de paille des
guajiros
; des casernes sont réaménagées en écoles ou en pouponnières ; on répare les routes et les ponts. Des médecins se sont lancés dans des consultations gratuites. La Révolution est une ruche.
Un problème surgit : que faire des casinos ? Ils ont été fermés dans l’élan moralisateur des débuts : Urrutia, janséniste de tempérament, en a fait un point axial de son programme. Castro, des plus prudes pourtant, louvoie : des milliers d’employés, en effet, exigent rudement leur réouverture. À la fureur (contenue) du président, Fidel se prononce en faveur des travailleurs. Mais les Américains ont déjà moins le cœur à venir flamber à Cuba… En mars, le gouvernement prendra « pour un mois » le contrôle technique de la Compagnie des téléphones, propriété d’une société yankee dite la « pieuvre du Delaware » : ce geste a été forcé par la nouvelle direction syndicale M-26.
Le vieux Grau, qui a cautionné par son activisme les consultations farcesques de la dictature, n’est pas inquiété. Il se permet même de réclamer des élections ! Castro réplique qu’elles auront lieu quand la réforme agraire sera achevée. Prío, lui, qui a aidé tous les opposants à Batista, dont Castro, rentre de Miami ; mais le vieux renard se tait. Ernest Hemingway, grand amoureux de Cuba où il a ses aises depuis un quart de siècle, note que, tout compte fait, ces débuts du castrisme sont un « moment très décent » dans l’histoire de l’île. Le peuple, qui a toujours aimé rimer son histoire, danse sur un mérengué qui va faire le tour du monde : «
Y en eso llegó Fidel / Se acabó la
diversión.
» « Alors Fidel est arrivé et la fiesta s’est terminée » – la fiesta des riches.
Euphorie ? Oui. Le gouvernement, en effet, a pris deux mesures immensément populaires parmi les citadins aux revenus modestes. Le 26 janvier, il a suspendu les expulsions de locataires. Et, le 10 mars, il a décrété une baisse de 50 % des loyers. Euphorie, pas tout à fait pourtant. Dès la fin février, les journaux dénoncent l’existence d’un maquis anticastristedans l’Escambray. Et à Miami, où il s’est réfugié le 1 er janvier, Rafael Díaz, ex-beau-frère de Fidel, a fondé « la Rose blanche », première de ces organisations de l’exil qui donneront du fil à retordre au
Lider
.
Avec le printemps, l’agitation bon enfant d’un peuple tout à la joie d’avoir retrouvé sa liberté fait place à la haute politique. Castro annonce qu’il va se rendre aux États-Unis. Est-ce là le traditionnel « pèlerinage chez l’Oncle Sam » de tout nouveau dirigeant latino-américain, anxieux d’être reconnu par la puissance tutélaire et d’obtenir une aide pour un bon démarrage ? Non ! Fidel est invité par l’Association américaine des éditeurs de journaux – non par le gouvernement. C’est son « ami » Jules Dubois, du
Chicago Tribune
, qui a rendu l’événement possible. Castro a répondu « oui » au téléphone en trois minutes. Le succès de cette figure hors pair, dû à la curiosité, est garanti. Mais la question est : les officiels américains souhaiteront-ils happer Fidel pour un contact direct ? Des parlementaires libéraux le suggèrent ; le gouvernement d’Eisenhower ne reprend
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