Fidel Castro une vie
pas la balle au bond.
Qu’attend Castro de ce voyage ? Ah ! il ne franchira pas le détroit de Floride en solliciteur : « Nous sommes fiers d’être indépendants et nous n’avons pas l’intention de demander quoi que ce soit. » Mais son nombreux entourage (soixante-dix personnes, en deux avions…) est composé surtout d’économistes. Castro attend-il qu’on lui offre, sans qu’il ait à le demander, des fonds pour réaliser ses projets révolutionnaires ? Une augmentation du quota annuel de trois millions de tonnes de sucre acheté à des taux préférentiels ? Ce qu’il demande, en fait, le 17 avril à Washington, devant un millier de journalistes réunis à l’Association des éditeurs, c’est « la signature d’un accord commercial équitable ». Il souhaite aussi que l’Amérique encourage l’afflux de touristes et d’hommes d’affaires.
Fidel voulait-il rassurer l’opinion américaine ? C’est ce qu’il entreprend, en tout cas, durant son séjour du 16 au 26 avril. Il a même eu l’astuce, très… américaine d’amener avec lui Fidelito – un geste qu’il ne renouvellera jamais. « Mon gouvernement n’est pas communiste », répète-t-il à satiété devant le monotone bombardement de questions concernant son idéologie. « NotreRévolution est une démocratie humaniste », explique-t-il. Les exécutions sommaires ? Elles étaient indispensables « pour enseigner aux soldats et policiers d’aujourd’hui et de demain que l’on ne doit pas torturer ou assassiner ». L’entourage, composé de modérés connus dans les cercles américains, contribue à l’idylle. Ces López-Fresquet, Felipe Pazos, Ernesto Betancourt sont au demeurant enchantés de cette occasion de converser avec un homme insaisissable, hormis pour de rares intimes. Ils nourriront plus tard leurs mémoires d’exil de confidences recueillies durant le voyage.
Le public est chaleureux là où un contact peut se nouer. Fidel embrasse des enfants, signe des autographes. Et parle, et parle… C’est la première fois dans l’histoire des États-Unis qu’un dirigeant de ce qu’on dénomme peu encore « le tiers-monde » peut expliquer les problèmes des pays pauvres. La plupart des journaux, pourtant, restent dans l’expectative. Fidel, il est vrai, n’a pas le style « maison » : ses développements fleuves lassent… Ici et là, on se demande s’il est sincère ou s’il cherche à enfumer l’Amérique.
Plusieurs journaux, en outre, rapportent un incident, le 22 mars, au cours duquel le prestigieux Costa-Ricain José Figueres s’est fait arracher le micro à la tribune par le syndicaliste fidéliste David Salvador. L’ex-président social-démocrate avait osé déclarer que, à tout prendre, les Latino-Américains devraient préférer les États-Unis à l’Union soviétique : « Faux ami et mauvais révolutionnaire », a tranché Fidel. Mais le congressiste républicain James Fulton croit, lui, que les États-Unis ont trouvé «
un
nuevo amigo
»
!
Le Cubain a été accueilli, à son arrivée à Washington, par le sous-secrétaire d’État à l’Amérique latine Richard Rubottom, un libéral. C’était la seule possibilité, « techniquement », puisque Castro n’est pas un invité officiel. Mais sans doute Fidel trouve-t-il le gibier un peu maigre. Le jour même, il est convié à un déjeuner « officieux » par Christian Herter, sous-secrétaire d’État, qui fait office de remplaçant de son supérieur, John Foster Dulles, malade et bientôt mourant. Parlant devant la commission des Affaires étrangères du Sénat, il nie que sa Révolution soit « neutraliste » : le traité interaméricain de Rio (Tiar) est sa Bible. Trois jours plus tard, enfin, le Premier ministre cubaina un entretien (en « anglais », dira-t-il), trois heures et demie durant, avec Nixon. Eisenhower, lui, joue au golf !
Le vice-président américain a raconté dans son livre
Six Crises
l’impression détestable que lui a faite Fidel, « incroyablement naïf sur le sujet du communisme, ou bien alors à la botte ». Mais il a aussi noté la vitalité de cet homme, « intelligent, perspicace, éloquent par moments ». Bref, « pour le meilleur et pour le pire, un meneur d’hommes ». Conclusion : Nixon va talonner toutes les instances en vue de préparer le renversement du
Lider
! Castro, lui, dira que les choses se sont plutôt bien passées et que Nixon ne lui a pas posé de questions « impertinentes ».
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