Fidel Castro une vie
évoquent une « vague de terreur ». Cienfuegos, lui, estime que deux cents exécutions ont eu lieu en ces jours de feu. Calmement, il explique qu’il y en aura environ cinq cents. Urrutia s’inquiète. Le 13 janvier, le président ordonne la suspension de la justice sommaire. Le lendemain, le
Lider maximo
, que la presse dit « atteint d’épuisement nerveux », s’insurge : « Les assassins seront fusillés jusqu’au dernier. » Et, de fait, les exécutions reprennent. Afin de régulariser la pratique, un décret est publié, modifiant la Constitution de 1940 qui excluait la peine de mort. Il devient clair pour tous que le pouvoir a déserté le palais naguère occupé par Batista. Il est désormais là où se trouve le chef de l’armée rebelle. Celui-ci ajoute : « Et si nous devons combattre l’opinion internationale, nous y sommes prêts. » Ce sont évidemment les États-Unis qui sont visés. Les sympathisants de Fidel appellent pour le 21 janvier à une manifestation monstre « contre l’insidieuse campagne de l’étranger ». Plus d’un demi-million de Cubains se rassemblent devant le palais ; ils font un triomphe à Castro lorsque celui-ci demande s’ils veulent d’autres exécutions…
Le lendemain, en présence de quatre cents journalistes, dont beaucoup d’étrangers invités par le gouvernement, commence au palais des Sports de La Havane le procès d’un ancien capitaine de l’armée batistienne, Sosa Blanco. Dix-huit mille spectateurs crient leur haine d’un homme à qui il est reproché d’avoir exécuté cent huit personnes. L’avocat de la défense est hué. L’inculpé lance un mot qui fera fortune : « C’est un spectacle digne de l’ancienne Rome. » L’intention du régime de juger les criminels « dans la clarté » se retourne contre lui. Les autres procès auront lieu à Columbia ou à La Cabaña – les enceintes militaires de La Havane. Commandant celle-ci, Guevara va, sans états d’âme qu’on sache, faire fusiller unecentaine d’hommes, au moins, par son adjoint Ramiro Valdés, qui commençait ainsi sa terrible carrière. Peut-être parce que lui-même a connu, jeune, la malemort, l’alacrité qui aura été celle de Guevara à s’arroger légèrement la vie d’autrui ne sera pourtant jamais portée au débit du « guérillero héroïque ». Cinq cent cinquante personnes, dira Castro, ont été exécutées ces semaines-là. D’emblée, il montre ainsi à ceux qui le présentent comme un « nouveau Christ » que, de ce modèle, il n’a pas retenu, en tout cas, le sens du pardon.
Il est une autre future constante de la politique fidéliste dont on perçoit les prémices dès ces premiers jours de 1959 : une hypersensibilité à tout ce qui vient des États-Unis. Pour tout Cubain un peu radical, il est vrai, le voisin du Nord a volé la victoire probable des patriotes de 1898 sur l’Espagne et réduit à rien la révolution antimachadiste de 1933. C’est aussi celui dont le poids dans l’économie insulaire est trop fort pour n’être pas importun. Plus gravement, c’est la puissance qui a trop longtemps soutenu Batista.
L’explication habituelle de la dégradation rapide des relations entre la Cuba de Castro et les États-Unis est l’incapacité de Washington à « comprendre cette révolution ». Elle est courte. Certes, les Américains n’ont pas tous donné dans la subtilité : une partie de la presse, en particulier, a véhiculé des opinions paternalistes – favorables d’abord, hostiles ensuite.
Il est vraisemblable, surtout, que Fidel a vite perçu l’avantage qu’il y a, pour un régime exposé, à avoir sous la main, prête à être tisonnée, une solide querelle. L’ambassadeur Earl Smith, vieil ami d’Eisenhower, a déjà démissionné. Il sera remplacé par un diplomate professionnel, Philip Bonsal – un libéral bien disposé envers le nouveau régime. Washington, fin janvier, retire sa mission militaire, vestige d’une époque il est vrai peu glorieuse. Le seul signal négatif qui parviendra de l’exécutif de Washington durant ces premières semaines sera le refus de livrer des armes à la Révolution.
Fidel, dès les premiers jours, tient à indiquer un autre de ses centres d’intérêt : l’Amérique latine. Songe-t-il à relancer l’élan « continentaliste » du
Libertador
Bolivar ? Ou cherche-t-il simplement des alliés dans son environnement ? Le 23 janvier,il débarque à Caracas pour le premier anniversaire de
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