Fidel Castro une vie
Incompréhension totale !
Fidel se détend aussi, visitant la maison de Washington à Mount Vernon, s’échappant un soir pour aller dîner dans un restaurant chinois et discuter avec des étudiants. Après cinq jours à Washington, il visite New York ; dans Central Park, il s’adresse à une petite foule de Latino-Américains.
Cependant, La Havane a négocié les détails d’une visite, autant dire dans la foulée, en Amérique latine. Car l’entourage de Fidel, Raúl en premier lieu, a été préoccupé de l’impression par trop complaisante envers les États-Unis laissée par la visite du chef de la Révolution cubaine. Les modérés, dont Ernesto Betancourt, ont rapporté des conversations téléphoniques nerveuses. Lors d’une escale à Houston, le 27 avril, Fidel est rejoint par Raúl. Il a avec lui, dans un grand hôtel puis une salle de l’aéroport texan, des échanges que Brian Latell, ex-officier de la CIA et auteur du livre
Raúl Castro, l’après Fidel
, croit avoir été d’une exceptionnelle vivacité. Le jeune frère veut faire admettre à son aîné qu’il se doit d’être à La Havane pour le 1 er mai, date idoine pour le lancement de réformes qui n’ont déjà que trop traîné, alors que se manifeste dans l’île une poussée droitière. De son côté, Fidel pourrait avoir intimé à Raúl de faire mettre une sourdine aux actions opérées à partir de Cuba par des révolutionnaires panaméens, dominicains, haïtiens et nicaraguayens – ce dont bruissent les chancelleries. Il se peut aussi qu’il lui ait reproché d’afficher trop tôt son « marxisme »…
En Amérique du Sud, Fidel est accueilli chaleureusement. À Rio, il annonce que Cuba aidera les exilés à combattreles dictatures. À Buenos Aires, il participe à une réunion du « Comité des 21 », avatar économique de l’Organisation des États américains où
Latinos
et
Gringos
réfléchissent à un plan d’aide du Nord au Sud. Le 2 mai, en treillis comme à son ordinaire, il lance une « bombe » : Washington a le devoir, dans les dix prochaines années, de fournir trente milliards de dollars à l’Amérique latine pour l’aider à sortir de son sous-développement, cause de son instabilité politique. Les officiels de Washington se pincent. La presse conservatrice pouffe : trente milliards, le plan Marshall d’aide à l’Europe en 1947 n’a pas, lui-même, dépassé les treize milliards ! Mais les
Latinos
applaudissent.
Fidel rentre enfin à Cuba pour donner les vrais trois coups de la Révolution. Le gouvernement se voit proposer le projet de réforme agraire élaboré par le Bureau de planification. Le
Lider
déclare que le texte est à prendre ou à laisser. On peut débattre si cette réforme, promulguée le 17 mai dans un village proche de l’ancien QG de La Plata, est, ou non, plus draconienne que ce qui avait été dit d’abord. L’expropriation des domaines de plus de quatre cents hectares, voilà qui n’est pas très radical. Mais, gauchissement volontaire ou raidissement provoqué par les oppositions qui se déclarent aussitôt, le texte va connaître une application très dure. Sur le moment, on observe surtout que les plantations étrangères (c’est-à-dire américaines, dont la United Fruit) sont touchées ; que l’accent est mis bien davantage sur la formule coopérative que sur la redistribution ; que l’indemnisation des expropriés se fera en bons remboursables en vingt ans ; et que la gestion du processus est confiée à un organisme doté de pouvoirs considérables, l’Inra. Sur le terrain, on note la toute-puissance de l’armée rebelle : les tribunaux sont exclus de la détermination des compensations. Face aux pressions, Castro s’arc-boute (la très rare, étonnante, algarade de Raúl à Houston aurait-elle agi tel un électrochoc ?) : « Aucune modification au projet ne sera apportée. » Un été inquiet s’annonce. La fort conservatrice Association des éleveurs s’insurge contre un projet « plus radical que celui du PSP ». L’archevêque M gr Pérez Serántes qualifie le texte de « procommuniste ». L’ambassadeur américain reconnaît le bon droit de la réforme, mais exige de « rapides, adéquates et effectives indemnisations ».
Le 12 juin a lieu un dramatique conseil de cabinet. Cinq ministres opposés aux termes de la réforme agraire sont remplacés par des radicaux. Ce n’est certes pas la première crise politique de la Révolution. Après la
Weitere Kostenlose Bücher