Fiora et le Magnifique
dernier
désir du Florentin, il retournerait à Brévailles pour porter, en secret,
quelque apaisement à la profonde douleur d’une mère et, de cela, son âme simple
se réjouissait à l’avance. Il entra dans la première église rencontrée et s’y
abîma longuement dans une action de grâces pour remercier le Dieu de
miséricorde d’avoir permis que Francesco Beltrami entrât dans Dijon à l’heure
où Marie de Brévailles marchait à la mort. Au moins, l’enfant née dans de si
terribles circonstances échappait à la cruauté des hommes avec une véritable
chance de connaître quelques années de bonheur.
Pas un
instant, le vieil homme n’eut envie d’aller voir ce qu’il advenait de messire
Regnault du Hamel. Celui-là aussi était dans la main de Dieu et la pénitence
que lui avait infligée le marchand florentin était entièrement méritée.
En
fait, c’est seulement le lendemain qu’un paysan qui passait auprès du vieil
hospice entendit des gémissements et découvrit le conseiller du chancelier à
moitié mort de froid. La litière qui emportait la petite Fiora, nichée dans le
giron d’une Léonarde épanouie pour la première fois de sa vie, avait déjà
parcouru un bon bout de chemin...
Première partie POUR UNE
NUIT D’AMOUR...
Florence
1475
CHAPITRE PREMIER LA « GIOSTRA »
– Pas
celle-ci ! Ni celle-là ! Et encore moins cette autre : on me l’a
vue vingt fois dans les fêtes. Oh ! non ! Pas cette vieille horreur :
elle me donne cent ans et avec celle-ci j’ai l’air d’un bébé ! Cherche
encore ! ...
Debout
au milieu de sa chambre, en chemise, pieds nus, les poings aux hanches et la
masse noire de ses cheveux croulant librement sur son dos, Fiora, l’œil
orageux, passait la revue des robes que Khatoun, sa jeune esclave tartare,
tirait l’une après l’autre, d’un geste nonchalant, des grands coffres de cèdre,
peints et dorés qui servaient de garde-robes. Les satins irisés, les velours
roses, bleus, blancs, noirs ou bruns, les mousselines brodées, les taffetas et
les cendals bruissants, les samits diaprés, enfin tout ce que l’art de la soie
florentine et les tissages orientaux pouvaient offrir à la coquetterie comme à
la parure d’une jolie femme encombraient déjà la pièce. Ils jaillissaient des cassoni, décrivaient dans l’air une courbe gracieuse puis venaient s’étaler aux
pieds de Fiora pour former, sur le parterre bleu d’un grand tapis persan, un
massif coloré et chatoyant qui augmentait de volume à chaque instant sans
parvenir à dérider sa jeune propriétaire.
Vint
le moment où Khatoun, disparaissant jusqu’à mi-corps dans les profondeurs du
coffre en ressortit avec un dernier voile et se laissa retomber sur le coussin
d’où elle officiait languissamment avec un soupir navré :
– C’est
tout, maîtresse. Il n’y a plus rien. Fiora ouvrit de grands yeux incrédules.
– Tu
en es sûre ?
– Regarde
toi-même si tu ne me crois pas.
– Alors,
c’est là tout ce que je possède ?
– Il
me semble que c’est déjà beaucoup. Il y a sûrement des princesses qui n’en ont
pas autant...
– Simonetta
Vespucci en a plus que moi. A chacune de ses apparitions, elle porte une
toilette nouvelle. Il est vrai que tout Florence n’a d’yeux que pour elle et qu’on
ne cesse de lui offrir des présents...
Sentant
des larmes de colère lui monter aux yeux, Fiora tourna les talons et s’en alla,
d’un air accablé, s’accouder à la gracieuse fenêtre à colonnettes d’où l’on
découvrait le cours paisible de l’Arno étincelant sous le clair soleil de
janvier. Sans détourner la tête, elle ordonna :
– Range
toute cette friperie ! Je ne sortirai pas.
– Tu
ne veux pas aller au tournoi ? gémit Khatoun déçue car elle accompagnait
Fiora partout où elle allait et se faisait une joie de voir la fête guerrière.
– Ni
au tournoi ni autre part. Je reste ici.
– J’espère
que vous allez tout de même vous habiller ? Qu’est-ce que cette façon de
parader en chemise à votre fenêtre. Cherchez-vous à prendre froid ou bien à
vous faire voir des mariniers du fleuve ?
Dame
Léonarde venait de faire son entrée portant sur un plateau du lait chaud et des
tartines de miel. Les dix-sept années écoulées depuis le dramatique départ de
Dijon n’avaient guère changé la cousine de Bertille Huguet. Elle était
seulement un peu moins anguleuse et, grâce à
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