Fiora et le Magnifique
s’accompagnait de beauté. L’enfant s’était vite
révélée ravissante et les nombreux amis de son père putatif l’avaient
accueillie d’un cœur unanime. Les femmes s’étaient montrées plus difficiles,
surtout celles qui avaient une fille à marier, mais beaucoup avaient espéré
amener Beltrami à l’autel en proclamant qu’il était indispensable que la petite
fille eût une mère.
Francesco
avait fait la sourde oreille sans pour autant d’ailleurs que les plus tenaces
perdissent espoir. Mais il y avait un petit clan d’opposants irréductibles,
dont le chef de file occulte était la cousine germaine de Francesco, Hieronyma,
qui avait contracté mariage dans la noblesse en épousant un Pazzi. Ses raisons
étaient transparentes car, tant que Beltrami ne se mariait pas et n’avait pas d’enfants,
elle et son fils Pietro étaient ses uniques héritiers et l’héritage en l’occurrence
n’était pas de ceux auxquels on renonce aisément.
Beltrami
n’était pas dupe de ses grâces apparentes et ses états d’âme ne le souciaient
guère. A mesure que passaient les années il en venait à se persuader que la
petite Fiora était réellement sa fille. L’amour qu’un terrible matin d’hiver il
avait voué spontanément à une jeune inconnue dont la beauté l’avait bouleversé,
il ne l’oubliait pas mais il le reportait sur cette enfant, trouvant une joie
profonde à la regarder grandir et s’épanouir dans le nid qu’il lui avait
offert. Fiora suffisait à son bonheur en attendant le jour où Dieu, en le
faisant passer de l’autre côté du miroir, lui ferait retrouver la belle de ses
amours...
Léonarde
posa calmement son plateau sur le lit, alla prendre Fiora par un bras et la
tira en arrière tout en refermant, de sa main libre, le panneau composé de
petites vitres rondes assemblées par des lamelles de plomb.
– Allez-vous
enfin être raisonnable ? gronda-t-elle.
– Je
n’ai pas envie d’être raisonnable, protesta la jeune fille en se tortillant
comme un ver pour échapper à la poigne de la gouvernante. D’ailleurs, cela veut
dire quoi, être raisonnable ?
– Cela
veut dire se comporter comme une jeune dame digne de ce nom, fit Léonarde
habituée depuis longtemps au caractère frondeur de celle que, dans son for
intérieur, elle considérait comme son enfant. Cela veut dire manger ce que je
vous ai apporté.
– Je
n’en veux pas. Je n’ai pas faim.
– Eh
bien, faites semblant ! Et puis laissez-vous habiller ! Votre père
vous demande. Vous ne prétendez pas vous présenter à lui en chemise ?
Comme
par miracle la rebelle se calma. Elle aimait Francesco d’un amour profond,
joyeux et confiant. La seule idée de lui causer une peine, même légère, venait
à bout de ses pires colères et Léonarde le savait bien. Docilement, Fiora
mangea une tartine et but un peu de lait tandis que la jeune Khatoun, sur un
signe de la gouvernante, ramassait l’une des robes dédaignées et se préparait à
en revêtir sa maîtresse. Un instant plus tard, Fiora apparut dans une tunique
de satin blanc puis dans la robe proprement dite faite d’un beau velours
couleur de feuille morte qui s’agrafait sous les seins pour laisser voir le
satin de la tunique. Les plis lourds qui s’achevaient en une courte traîne
étaient ceinturés haut, juste sous la poitrine par un ruban doré qui entourait
les épaules et resserrait les manches étroites, si longues qu’elles recouvraient
à demi le dessus de la main.
Tandis
que Khatoun laçait les manches dont les crevés laissaient passer, à l’épaule et
au coude, le satin blanc légèrement bouffant, Léonarde, armée d’une brosse, s’efforçait
de remettre de l’ordre dans l’abondante chevelure d’un noir profond qui
croulait en désordre sur le dos de la jeune fille. Dans le grand miroir de
Venise que Francesco Beltrami avait fait venir à grands frais pour sa fille
bien-aimée, Fiora suivait d’un œil désabusé le travail des deux femmes.
– Je
suis affreuse ! déclara-t-elle d’un ton dramatique.
– C’est
ce que je me dis tous les matins en entrant ici, ricana Léonarde. Comment
messer Francesco qui est homme de goût peut-il supporter la présence d’une
fille aussi laide et même pousser l’aveuglement jusqu’à s’en réjouir ? ...
Ne dites donc pas de sottises !
Fiora
était sincère. Élevée dans une ville où les femmes ne rêvaient que blondeur et
se donnaient un mal infini pour
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