Fiora et le Magnifique
portrait de notre cousine madonna Hieronyma Pazzi par
cet ancien moine, mort il y a six ans, messer Filipo Lippi. C’est un beau
portrait qui rend pleine justice à sa beauté ; il dit aussi qu’elle est
vaniteuse, avide, de cœur faux et cruel. Sur cette image-ci, je ne peux rien
lire.
Francesco
était abasourdi. Que sa Fiora qu’il considérait toujours comme une petite fille
et qui, par bien des côtés l’était encore, pût faire preuve d’un tel don de
psychologie le confondait... La jeune fille le sentit et voulut en profiter :
– A
présent, ajouta-t-elle doucement, réponds, je t’en prie, à la question que je t’ai
posée... ces taches brunes ? ... On dirait du sang !
Beltrami
se détourna et alla jusqu’à la fenêtre d’où l’on découvrait, par-dessus les
toits de la via delle Vigna Nuova, le magnifique palais Rucellai, l’un des plus
neufs de Florence et l’un des plus beaux. Fiora le suivit :
– Réponds-moi,
père ! je veux savoir !
– J’oubliais
que tu sais, aussi, dire « je veux »... Eh bien oui, c’est du sang...
le sien. Ta mère est morte, mon enfant, dans de bien terribles conditions...
– Lesquelles ?
– Ne
m’en demande pas plus car je ne te répondrai pas. Plus tard, sans doute, je te
dirai...
– C’est
quand, « plus tard » ?
– C’est
quand tu seras une femme. Pour l’instant tu n’es encore qu’une jeune fille et
une jeune fille ne doit avoir que des pensées joyeuses. Surtout un jour de fête !
... Voyons, que vas-tu mettre pour aller au tournoi comme on dit en France ?
Ramenée
à ses préoccupations antérieures, Fiora haussa des épaules désabusées :
– Je
n’en sais rien. Je t’avoue que je n’ai pas très envie d’y aller.
– Ne
pas aller à la giostra, alors que nos places sont marquées dans
la meilleure tribune ?
– Derrière
la reine. Donc ce que je mettrai a bien peu d’importance. Personne ne me
remarquera !
– Excepté
Domenico Accaiuoli, Marco Soderini, Tommaso Salviati, Luca Tornabuoni et
quelques autres de moindre importance, récita Francesco qui retrouvait son
sourire.
– C’est
bien ce que je dis : personne !
Elle n’ajouta
pas que le seul qui comptât pour elle, le beau, l’irrésistible Giuliano de
Médicis ne regarderait que Simonetta Vespucci. Beltrami s’était mis à rire :
– Comme
tu y vas ! Je te trouve bien difficile. Il faudra pourtant bien, un jour,
te choisir un époux...
Fiora
glissa son bras sous celui de son père et, se hissant sur la pointe des pieds,
baisa sa joue bien rasée :
– Le
seul homme que j’aime ne saurait m’épouser puisque c’est toi !
– Ah !
Voilà une parole qui mérite récompense ! J’ai quelque chose pour toi.
Se
dégageant du bras de sa fille, le négociant alla prendre dans un coffre un
petit paquet enveloppé de soie et le tendit à Fiora :
– Tiens,
je comptais t’offrir ceci pour ta fête mais l’occasion me paraît opportune...
Les
yeux de la jeune fille brillèrent. Comme toutes ses pareilles, elle adorait les
cadeaux, les surprises et tout ce qui est inattendu. Rose d’impatience, elle
déplia la soie blanche et découvrit un de ces cercles d’or comme aimaient à en
porter les élégantes florentines. Celui-là était fait de feuilles de gui dont
les boules étaient autant de perles. Une autre perle, en poire, était destinée
à retomber sur le milieu du front...
– Oh,
père ! C’est ravissant ! Qui a fait cela ?
– Le
Ghirlandaio [ii] ;
Je le lui ai commandé depuis longtemps déjà et je ne pensais pas le recevoir de
sitôt mais l’artiste quitte Florence pour San Gimignano où il doit décorer la
chapelle de Santa Fina. Je suis heureux de pouvoir t’offrir ce bijou aujourd’hui
car tu es en âge, à présent, de recevoir et de porter des joyaux. Tu vois que tu
n’as plus aucune raison de me laisser aller seul à la fête. A présent
quittons-nous. Il faut que je me prépare pour le banquet du palais Médicis...
– Où
les dames ne vont pas...
– Où
les dames ne vont pas, comme il se doit quand monseigneur Lorenzo reçoit
ambassadeurs et hommes politiques. A la giostra et au bal de ce
soir, les dames auront leur revanche...
C’était
vrai que la fête promettait d’être belle. Il en était toujours ainsi quand le
Magnifique – il avait à peine vingt ans qu’on lui attribuait déjà ce surnom
prestigieux -décidait que sa ville devait vivre quelques heures de folie
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