Fiora et le Pape
deux.
Cette
aimable déclaration laissa Fiora sans voix. C’était une chose étrange, en
vérité. Les grands personnages de ce monde que le Destin mettait sur son
chemin, amis ou ennemis, semblaient n’avoir d’autre but dans la vie que de l’installer
dans leur voisinage. Louis XI lui avait donné la maison aux pervenches, le
Téméraire lui proposait, un soir d’euphorie, de lui offrir un état dans ses
domaines et de la faire venir à sa cour, la guerre finie, et voilà qu’à
présent, le pape voulait la loger sur la colline vaticane au palais de Santa
Maria in Portico [xviii] .
– Eh
bien ? reprit Sixte, vous ne dites rien ? Que pensez-vous de mes
projets ?
– Qu’ils
sont très généreux, Saint-Père... et qu’il faudra bien qu’ils me conviennent.
Je vous rappelle néanmoins que j’ai un fils, en France, et que j’entends l’élever
moi-même et vivre avec lui.
– Quelle
difficulté ? Vous le ferez venir avec ses gens et il jouira lui aussi de
Notre toute particulière protection. D’ailleurs, dès le mariage conclu, j’enverrai
ambassade auprès du roi de France pour le rassurer enfin sur votre devenir et
lui faire part de l’heureuse conclusion de nos affaires.
– Heureuse ?
Le roi aurait-il libéré fray Ignacio et ce cardinal dont j’ai oublié le nom ?
Le
pontife se mit à rire avec la gaieté d’un gamin qui vient de réussir une bonne
farce :
– J’arriverai
bien à récupérer, un jour ou l’autre, le cardinal Balue [xix] . Méditer un peu
plus longtemps sur les vicissitudes de ce monde ne peut lui être que salutaire.
Quant au moine castillan, on m’a fait savoir qu’il est mort et nous ne pouvons
plus que prier pour le repos de son âme. Tous deux n’ont été, en fait, qu’un...
prétexte pour vous faire venir ici. Mais, je vous en prie, laissons de côté
cette fastidieuse politique et...
– Je
souhaiterais néanmoins poser encore une question à Votre Sainteté, si toutefois
Elle le permet ?
– Faites !
– Cet
étonnant changement d’attitude, cette amabilité gracieuse qui m’est offerte
aujourd’hui, alors que je m’attendais à subir les foudres d’une colère...
papale, à quoi est-ce que je les dois ? Uniquement à la naissance de la
petite Bianca ?
– Non.
Bien sûr que non. Vous les devez à deux circonstances : la première est
naturellement votre venue à résipiscence, et c’était le principal, mais d’autre
part, donna Catarina, notre nièce bien-aimée, n’a cessé de défendre votre cause
et Nous n’aimons pas lui faire de peine. Vous aurez en elle la meilleure des
amies et elle contribuera beaucoup à vous faire aimer Rome.
Sur
ces consolantes paroles, le pape offrit aux lèvres de Fiora l’anneau de sa main
et rappela Patrizi pour qu’il la reconduisît au château Saint-Ange, où elle ne
devait plus rester très longtemps. Le lendemain qui était le dimanche de
Pâques-Fleuries [xx] était impropre, comme tous les dimanches, à une cérémonie nuptiale. Le mariage
aurait donc lieu le lundi soir, à la nuit close, dans la chapelle privée du
pape qui le célébrerait lui-même.
Ces
quelque cinquante heures, Fiora les passa en compagnie de Domingo, commis une
fois de plus à sa garde. Devant les bonnes dispositions du pontife, elle avait
espéré qu’on lui enverrait Khatoun, mais la -naissance de l’enfant devait
réclamer les soins de tous au palais de Sant’Apollinario et la jeune comtesse n’avait
certainement pas envie de se séparer d’elle. Néanmoins, ces derniers moments de
captivité s’écoulèrent avec une grande rapidité, et pas uniquement parce que
Domingo s’ingénia à la distraire en jouant aux échecs avec elle et la promenant
sur les terrasses du château d’où elle put contempler à son aise le panorama de
Rome en sa totalité. Mais aussi parce que ces heures qui coulaient,
inexorables, étaient les dernières avant un changement d’existence qui l’effrayait
en dépit des assurances données par le pape. Qu’elle le voulût ou non, elle
allait devenir une Pazzi et la seule idée de porter ce nom exécré la révulsait.
Elle pensait aussi à Mortimer, captif de ce même château Saint-Ange et qu’en
dépit de ses prières on ne lui avait pas permis de voir. Pourrait-il repartir
libre vers la France ? Riario l’avait promis, mais quelle confiance
pouvait-on accorder à la parole de cet homme ? Enfin, une autre angoisse
chassa le sommeil de ses deux dernières
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