Fiora et le Pape
Pazzi... pardon à la dame Boscoli qu’il
faut le demander, à celle qui, pour mettre la main sur notre fortune, n’a pas
craint de faire assassiner mon père, et qui ne cesse de me poursuivre de sa
haine.
– Gardez-vous,
ma fille, d’un jugement téméraire ! énonça le pape avec sévérité. Il est
trop facile d’accuser !
– Jugement
téméraire ? Interrogez n’importe qui, à Florence, et il vous en dira
autant ! Et pourtant, c’est à cette misérable que vous voulez me livrer
pieds et poings liés ! Après avoir voulu me forcer à épouser le monstre qu’elle
avait pour fils, elle prétend à présent me contraindre à donner ma main à son
neveu... un autre monstre, si j’ai bien compris ! Moi qui ne relève que du
roi de France !
– Avez-vous
accepté ce mariage, ou m’a-t-on menti ?
– J’ai
accepté, oui, cette nuit et sous la contrainte pour ne pas voir mourir un brave
homme de mes amis qui, en peine de moi, m’est venue chercher jusqu’ici ! Et
vous donnez la main à de telles infamies ! Vous, le successeur de l’Apôtre,
le représentant du Christ !
Elle
attendait colère pour colère, pourtant Sixte ne s’emporta point. Il la
considéra un instant par-dessus les besicles qu’il avait remises :
– Approchez
donc ce tabouret et asseyez-vous ! Si je vous ai fait venir ici, c’est
pour que nous puissions parler sans témoins. Allons, faites ce que je vous dis !
Asseyez-vous !
Elle
obéit et se trouva tout près du pape, abritée comme lui par les ailes du grand
lutrin.
– Mon
attitude vous surprend peut-être, poursuivit-il, mais je suis aujourd’hui
exceptionnellement heureux parce que le Seigneur a béni l’union de mon cher
neveu. C’est peut-être ce qui m’incline à... une certaine indulgence car voici
longtemps que vous excitez ma colère. Vous nous avez donné beaucoup de mal pour
vous reprendre... mais ce temps écoulé m’a permis de réfléchir.
– Auriez-vous
renoncé à faire tomber ma tête ?
– Quelle
sottise ! Seriez-vous à cette place s’il en était autrement ? Mais j’ai
à vous dire ceci : votre mariage avec Carlo est important pour ma
politique. Il est bon que Fiora Beltrami devienne Fiora dei Pazzi. C’est
pourquoi je veux qu’il se fasse, et non pour faire plaisir à donna Hieronyma...
qui pourrait d’ailleurs en éprouver quelque déception car les choses n’iront
pas à son gré.
– A
son gré ? Je peux prédire à Votre Sainteté ce qu’il adviendra de moi dès l’instant
où j’entrerai dans sa maison : il m’arrivera malheur dans les plus brefs
délais.
– Je
le sais bien, et c’est pourquoi j’ai parlé de déception car elle apprendra que
je n’accepterai ni maladie, ni accident ni quoi que ce soit d’autre, sinon elle
sera aussitôt livrée au bourreau.
– Peut-être,
mais moi je refuse de partager le même toit qu’elle ! Jamais je n’aurais
cru pouvoir haïr un être humain comme je la hais. J’ai juré sa mort !
– Vous
ne partagerez qu’une seule nuit le toit de cette dame : celle de vos
noces. Dès le lendemain, elle partira pour un... voyage en compagnie de son
beau-frère et, quand elle en reviendra, vous habiterez un petit palais près de
Santa Maria in Portico que je vais donner à Carlo en cadeau de noces. Et je
puis vous promettre, ajouta-t-il avec un mince sourire, que votre tête restera
bien en place si d’aventure il arrive quelque chose de... fâcheux à la dame
Boscoli ! Nous... nous n’avons guère de sympathie pour elle. C’est une
femme bruyante et commune.
– Je
suis sensible, Saint-Père, à cette assurance que vous voulez bien me donner,
mais il n’en reste pas moins que je dois épouser un monstre. S’il ressemble au
défunt fils de Hieronyma, les jours me seront encore plus chichement comptés
que par elle.
– Un
monstre ? N’exagérons rien. Carlo est laid et c’est un simple d’esprit,
mais il n’a aucune méchanceté. Vous en ferez ce que vous voudrez. Je suis
certain que vous finirez par apprécier la vie que vous aurez à Rome. Vous y
deviendrez une des premières dames...
– Je
ne vois pas bien à quel titre ?
– Le
plus simple et le moins contestable : parce que je le veux ainsi. Quand
vous serez devenue ma voisine, on saura vite que je vous protège... et j’avoue
que je serais heureux, alors, que nous puissions nous entretenir des grands
auteurs et des beaux textes anciens que nous aimons tous les
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