Fiora et le Pape
nuits : la menace qui pesait sur
les Médicis. Fiora devinait trop ce que serait ce « voyage » entrepris,
au lendemain de son mariage, par Francesco et Hieronyma. Ils allaient préparer
leur triomphe, assister au dernier acte du drame qui ferait de leur famille la
plus riche et la plus puissante de Florence, sous l’autorité de Riario sans
doute, mais rassemblerait dans leurs griffes rapaces une partie des biens des
victimes et la totalité de ceux des Beltrami sans que l’intransigeante loi
florentine pût s’y opposer. L’idée que Lorenzo et Giuliano allaient mourir sans
qu’elle pût rien faire pour s’y opposer lui était insupportable.
Aussi
était-elle la plus pâle et la plus sombre des fiancées quand, le lundi soir,
après le coucher du soleil, Domingo lui prépara un bain dans le grand baquet qu’il
avait apporté sans paraître fournir le moindre effort et lui dit que le moment
était venu de se mettre à sa toilette.
– Tu
es blanche comme une morte, remarqua-t-il. Domingo va devoir te mettre du
rouge.
– Personne
ne s’attend à ce que j’aille à l’autel avec un cœur joyeux. Ma mine n’a aucune
importance et je ne veux pas porter de fards. Je les déteste.
– Le
Saint-Père ne sera pas content.
– Tu
te trompes. La seule chose qui importe pour lui, c’est que je me laisse marier.
Marier ! Moi ! Alors que Philippe...
Elle
éclata en sanglots si violents que le Nubien épouvanté alla chercher du
vinaigre pour lui bassiner le front et les tempes.
– Par
pitié, calme-toi ! Domingo sera puni si tu montres tout à l’heure ce
visage désespéré. Il faut que tu soies courageuse.
– Il
a raison, fit une petite voix douce qui calma net les pleurs de Fiora. Et je
crois que tu te sentiras plus forte quand tu auras lu la lettre que je t’apporte !
Khatoun
prit à deux mains la tête de la jeune femme pour l’obliger à la regarder.
– Tu
es venue ? murmura Fiora. On te l’a permis ?
– Oui,
mais lis cette lettre, je t’en prie ! Toi, pendant ce temps, ajouta-t-elle
à l’adresse du Noir, va prendre dehors le coffre qui attend sur une mule gardée
par les valets de la comtesse Riario.
La
lettre, bien sûr, était de Catarina : « A cet instant qui doit vous
être cruel, écrivait la jeune femme, je veux vous apporter tout le réconfort
dont je suis capable. Je ne peux vous accompagner, mais je tiens à vous dire
ceci : une femme intelligente peut s’accommoder du pire des mariages dès l’instant
où elle a des amis pour l’aider, et vous avez en moi une amie. Khatoun que je
vous offre – elle sera mon cadeau de mariage – vous en dira plus que je n’ai le
courage d’écrire. De même, acceptez cette nouvelle robe qui l’accompagne. Plus
vous serez superbe et fière et plus vous gagnerez dans l’esprit de mon oncle.
Nous nous reverrons bientôt car, dès demain, je réclamerai votre visite, ce qui
est normal puisque je dois garder le lit. Soyez brave et confiante ! Je
vous embrasse. Catarina. »
Ce fut
comme une grande bouffée d’air pur et vivifiant. Fiora versa ses dernières
larmes contre la joue de Khatoun qu’elle étreignit avec une profonde émotion.
– Toi,
au moins, je te retrouve ! Je n’imaginais pas recevoir, ce soir, une aussi
grande joie.
Avec l’impression
que le temps revenait, elle se laissa revêtir par la jeune Tartare de la
superbe robe de drap d’or que Domingo venait d’apporter, mais le contact froid
du tissu métallique la fit frissonner et Khatoun crut que c’était d’angoisse :
– Ne
pense pas ! supplia-t-elle. Il ne faut pas penser à autrefois ! Ce
soir, tu fais un mauvais rêve, mais tu te réveilleras.
– Tu
crois ?
– J’en
suis sûre. Demain, tu verras la contessa Catarina, ajouta-t-elle dans un
souffle. Elle a des choses à te dire.
Quand,
une heure plus tard, Fiora, suivie de Khatoun aussi compassée qu’une vraie dame
d’honneur, fit son entrée dans la chapelle papale, il lui sembla pénétrer à l’intérieur
d’un missel. Une brassée de cierges jaunes faisaient chanter les ors et vivre
les personnages peints à fresque par Melozzo da Forli. Dans leur splendeur
chamarrée et leurs vives couleurs, ils lui parurent plus vrais que les
personnages vivants placés aux alentours de l’autel, peut-être parce que son
esprit et son cœur refusaient la réalité de toutes leurs forces.
Pour
retarder l’instant redouté, Fiora choisit de regarder d’abord le pape,
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