Fiora et le Pape
Santa Maria del Fiora s’emplit du
bruit si caractéristique d’une troupe en marche. Une voix retentit qui
précipita Fiora et, plus lentement, Démétrios à la balustrade :
– Ouvre,
Monseigneur ! C’est moi, Savaglio ! Tu n’as plus rien à craindre et
la ville est à toi !
C’était,
en effet, le capitaine des gardes de Lorenzo, à la tête d’une compagnie dont
les armures se couvraient de cottes d’armes frappées du Lys rouge. Derrière
eux, la foule revenait, rassurée pour une partie, repentante peut-être pour une
autre.
La
porte de bronze s’ouvrit. En voyant paraître la haute silhouette maigre et le
sombre visage de ce maître qui avait toujours été son ami, le peuple poussa un
hurlement de joie qui ébranla les lustres de cuivre et roula comme le tonnerre.
Une brusque poussée, venue de ceux du parvis qui essayaient d’entrer, jeta en
avant quelques gardes, et Savaglio dut faire intervenir les lances pour sauver
son seigneur de la mort par étouffement :
– Reculez !
hurla-t-il. Reculez tous ou je vous charge ! Si vous n’obéissez pas, c’est
qu’il y a encore des assassins parmi vous. Alors, gare !
La
foule recula, ouvrant un passage dans lequel Lorenzo et ses amis s’avancèrent,
salués par des vivats frénétiques auxquels le Magnifique répondit d’un geste de
la main. Mais soudain, il s’arrêta :
– Giuliano !
s’écria-t-il. Qu’a-t-on fait de mon frère ?
– Le
voici, Monseigneur ! fit Savaglio en montrant, de l’épée, un groupe d’hommes
qui, à cet instant même, enlevaient sur leurs épaules un brancard recouvert d’une
tenture de soie arrachée sans doute à une fenêtre de la place. Sous le cendal
pourpre, la forme du corps se dessinait.
Rapidement,
Lorenzo les rejoignit et, d’un geste brusque, rejeta l’étoffe à terre :
– Je
veux que Florence voie, de ses yeux, ce qu’on a fait de lui ! Levez-le !
Levez aussi haut que vous le pourrez afin que sa mort crie vengeance jusqu’au
ciel ! Et que justice soit faite !
Le
cadavre apparut, exsangue dans ses vêtements de joie. Il ne restait plus du beau
Giuliano qu’un corps sans vie, troué de trente coups de poignard tant les
assassins s’étaient acharnés sur celui qui avait été l’heureux amant de
Simonetta Vespucci, une pauvre dépouille sur la main pendante de laquelle
Lorenzo, les larmes aux yeux, vint poser ses lèvres. Mais, comme le triste
cortège allait s’ébranler, il l’arrêta une fois encore :
– Où
est le cardinal Riario ? demanda-t-il. Savaglio fit un geste d’ignorance,
mais un gamin qui portait le costume des chantres de l’église sortit de derrière
un pilier et s’avança :
– Les
chanoines du Duomo l’ont recueilli, illustrissime Seigneur. Ils l’ont trouvé à
moitié mort de peur devant l’autel et l’ont emmené pour le réconforter. Il doit
être dans la salle du chapitre.
– Qu’on
aille le chercher !
– Que
veux-tu en faire ? demanda Politien en se penchant sur l’épaule de son
ami. Pourquoi ne pas l’abandonner à son destin ? Le peuple n’en fera qu’une
bouchée...
– C’est
ce que je veux éviter. La foule l’écharperait et en ferait un martyr que le
pape se hâterait de canoniser. Et c’est un trop précieux otage que ce blanc-bec
pour l’abandonner ainsi à la fureur d’une aveugle populace.
Comme
il finissait de parler, un groupe lamentable et vaguement grotesque émergea de
la droite du chœur. C’était, étayé par deux chanoines grassouillets qui
roulaient des yeux effarés, le petit cardinal qui faisait une apparition sans
gloire. Le malheureux croyait sans doute sa dernière heure venue. Mais quand il
reconnut le Magnifique à la tête de cette troupe armée, il fit un visible
effort pour retrouver un peu de dignité.
– J’ai...
j’ai le cœur navré... de ce drame qui ensanglante le saint jour de la
Résurrection et je ne veux pas... rester ici plus longtemps ! Je veux
partir... tout de suite !
Lorenzo
le toisa du haut de sa taille avec un dégoût teinté de pitié :
– Il
ne saurait en être question. La présence de Ta Grandeur en ce jour terrible a
montré à tous d’où vient le coup qui a frappé mon frère et qui a failli me
tuer. Tu resteras ici, dans ma propre demeure, et pour aussi longtemps qu’il me
plaira de t’y garder.
– C’est
violer le droit de l’Eglise ! Je suis légat du Saint-Père et comme tel ne
puis être retenu contre mon gré. Tu
Weitere Kostenlose Bücher