Fiora et le Pape
ces
douces lèvres et de noyer ses mains dans cette chevelure soyeuse pouvait
ensuite accepter de vivre, ne fût-ce qu’un seul jour, loin de tant de grâce. Il
fallait que ce comte de Selongey fût un rude imbécile, et, pour sa part,
Florent espérait bien qu’on ne le reverrait jamais.
On
pénétra dans Tours par la porte de La Riche, la plus voisine du manoir, et tout
de suite on fut sous le charme. En dépit de l’absence du roi que l’on ne
reverrait peut-être pas avant l’automne, la ville s’était parée comme une
mariée. On avait mis aux fenêtres les plus beaux draps, les plus belles
tentures, et on les avait piqués de toutes les fleurs des jardins. Bien que l’on
fût vendredi, chacun arborait ses habits du dimanche. Néanmoins, et parce que c’était
le jour du marché, les boutiques étaient ouvertes. Entre deux offices, chacun,
ce matin-là, vaquait à ses occupations.
Autour
de l’antique basilique Saint-Martin, de son cloître et de ses tours romanes, l’animation
était grande car c’était l’un des plus importants lieux de pèlerinage en Europe.
Il y avait plus de mille ans que, sur les bords de la Loire et en ce lieu même,
le corps de Martin, soldat romain devenu évêque et confesseur par amour pour
ses frères humains, de Martin, l’homme du manteau partagé un jour de neige,
attirait les foules venues de tous les horizons. On disait que le saint avait
ressuscité trois morts et rendu la santé à des milliers de malades incurables.
Des lépreux, des infirmes, des déments que l’on appelait des lunatiques, et
même des possédés avaient été délivrés de leurs maux et purifiés au simple
contact de son tombeau. Aussi les pèlerins venaient-ils toujours nombreux vers
cette espérance qui était, en outre, une étape majeure sur le « chemin des
Etoiles », la longue route qui, des pays nordiques, menait jusqu’à
Compostelle de Galice.
L’église
actuelle était la quatrième bâtie au-dessus du sépulcre depuis la mort de
Martin survenue vers l’an 400. Il y avait eu d’abord un modeste oratoire de
bois, puis une chapelle qui avait péri dans un incendie, sans d’ailleurs que la
sainte sépulture fût atteinte. L’évêque Henri de Buzançais, après les terreurs
de l’an mil, avait élevé une basilique mais elle avait eu quelques malheurs et
il avait fallu rebâtir entre le XI e et le XIII ème siècle,
au point d’avoir presque construit une nouvelle église sur laquelle le roi
Louis [v] et ses largesses
veillaient puissamment. Il en assurait l’entretien, et il ne se passait guère d’année
qu’il ne fît un don, bien que le plus fort de sa dévotion allât à Notre-Dame de
Cléry ;
Comme
d’habitude, l’église était pleine quand Fiora et Léonarde, laissant Florent
garder leurs montures, s’efforcèrent d’y pénétrer. Des hommes, des femmes, des
vieillards, des enfants, pèlerins de passage ou malades pour la plupart, s’y
pressaient sans brutalité, attendant même assez sagement leur tour d’approcher
le tombeau par le déambulatoire qui entourait le chœur. Tous chantaient les
louanges de Dieu et la gloire du grand saint Martin tandis que des moines
faisaient de leur mieux pour les canaliser et, surtout, convaincre ceux qui
étaient arrivés au but de laisser leur place aux autres. Certains, en effet, se
cramponnaient aux grilles dorées, prétendant demeurer là jusqu’à ce que leur
vœu soit exaucé et suppliant qu’on voulût bien les y laisser. Pourtant, l’ère
des grands pèlerinages était passée. Le siècle était d’une foi moins exaltée et
l’on ne partait plus aussi souvent pour Rome, plus rarement encore pour
Jérusalem. Seule, Compostelle de Galice continuait à entraîner des foules sur
les nombreux sentiers qui étoilaient l’Europe, mais les grands départs de
Pâques étaient déjà loin en ce mois d’août. Saint-Martin de Tours, comme Le
Puy, Conques, le mont Saint-Michel-au-péril-de-la-mer et plusieurs grands
centres de piété, gardait pourtant de très nombreux fidèles, ceux qu’une ou
même deux centaines de lieues n’effrayaient pas.
Voyant
tant de monde, Léonarde voulut ramener Fiora pour lui éviter une trop longue
attente debout, mais la jeune femme résista. Elle avait décidé qu’aujourd’hui
elle irait demander la protection du saint et aucune force humaine ne l’empêcherait
de prendre sa place dans la file d’attente. D’ailleurs, s’apercevant de son
état, une dame pèlerine et un
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