Fiora et le Pape
sur les planches d’un pont, puis un escalier, une porte que l’on
ouvrit et, finalement, Fiora fut posée sur un matelas ou sur des coussins qui
lui parurent assez doux après la paillasse de la barge dont la toile laissait
percer quelques brins de paille. Elle espéra qu’on allait lui enlever le
bandeau, mais, au contraire, Domingo lui lia soigneusement les mains et les
pieds. Elle protesta :
– Pourquoi
me ligoter ? Je ne me suis pas défendue, il me semble, et je n’ai pas crié !
– Sans
doute, et tu diras à Domingo s’il te serre trop, mais sois sans crainte, cela
ne durera pas. Seulement jusqu’à ce que le bateau soit assez éloigné de la
terre. Domingo viendra te délivrer et te porter à manger.
– Cela
risque d’être long. Quand partons-nous ?
– Bientôt.
La marée est là ! Reste tranquille. Domingo va rester devant la porte.
Demeurée
seule, Fiora, en dépit des ordres du grand Noir, se tortilla pour essayer de se
libérer. Ce n’était pas facile : ses mains étaient liées derrière son dos
et, si Domingo n’avait pas serré très fort, les nœuds étaient bien faits, et
plus Fiora tirait dessus, plus ils semblaient se resserrer. Mais, à s’agiter
ainsi, le bandeau glissa de ses yeux et, bien qu’on ne lui eût laissé aucune
lumière, elle vit qu’elle se trouvait, comme elle l’avait supposé, dans le
château arrière d’une caraque.
Ce
type de navire était familier à la jeune femme. Les deux bateaux de son père,
la Santa Maria del Fiore et la Santa Madalena, étaient du même
genre et elle les avait trop souvent visités pour ne pas les connaître à fond.
Elle savait que ces navires, dont beaucoup étaient construits à Gênes et à
Venise, comportaient deux ponts et deux châteaux à la manière des nefs
romaines. Celui de l’arrière, à peine plus élevé que l’avant, renfermait les
chambres du capitaine et des passagers de marque. C’était dans l’une de
celles-là qu’on l’avait transportée, et elle savait comment s’ouvrait le
panneau à petits carreaux sertis de plomb qui prenait jour au-dessus du
gouvernail. Si elle parvenait à se libérer, elle pourrait se jeter à l’eau en
dépit de la hauteur et nager dans le port assez loin pour n’être pas reprise.
La suite appartiendrait à la chance...
Son
corps mince ayant toute la souplesse de la jeunesse, elle réussit, non sans
peine il est vrai, à faire passer son torse et ses jambes dans l’anneau formé
par ses bras puis, ayant amené ses mains à la hauteur de sa bouche, elle
attaqua les nœuds avec ses dents. Le jour se levait et grisaillait le vitrage.
Sur les ponts, on entendait le claquement des pieds nus de l’équipage qui
courait aux manœuvres. Il y eut le long grincement d’un cabestan. Le bateau
bougeait sous l’assaut de la marée et tirait sur son ancre comme un chien sur
sa laisse. Les commandements se succédaient, hurlés d’une voix forte en
italien. Fiora s’activa davantage encore et dut retenir un cri de joie quand
enfin les liens cédèrent. Délivrer ses jambes fut l’affaire de quelques
instants et, sautant à bas de la couchette, elle courut vers la fenêtre,
cherchant à ouvrir le crochet, quelque peu rouillé hélas, qui la maintenait
fermée. En bas, elle apercevait l’eau grise et plus loin une forêt de mâts
derrière lesquels montaient les toits pointus d’une ville, les flèches des
églises et les tours d’un puissant château.
Fiora
s’énervait, la proximité de la liberté la rendait maladroite. Le bateau, elle s’en
rendait compte, était en train de quitter son mouillage. Il fallait faire vite.
Sur le fer rugueux, ses doigts s’écorchaient... et puis la porte s’ouvrit et
Domingo parut. Avec une rapidité surprenante chez un homme de sa corpulence, il
bondit sur la jeune femme, la maîtrisa et la rapporta sur sa couchette en
rattachant hâtivement ses mains :
– Folle
que tu es ! souffla-t-il. Le chef arrive. S’il t’avait découverte avant
Domingo...
Il n’acheva
pas. Elle avait compris et, se rappelant les menaces que l’homme avait
fulminées, elle se laissa faire sans chercher à lutter. L’occasion était
perdue. Mieux valait patienter, attendre peut-être une circonstance plus
favorable... La patience ! Cette vertu des vertus que son ancien ami
Démétrios lui avait si souvent prônée ! En vérité, elle se sentait lasse
comme après une longue course. Aussi, quand son ravisseur fit sonner le
plancher
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