Fiora et le Pape
libération
pour ne pas sombrer à nouveau dans le désespoir.
Le
cadre du lit tenait par des pentures de fer plates dont l’une avait du jeu.
Agenouillée, Fiora essayait de la détacher quand la basse profonde de Domingo
la fit tressaillir. En dépit de sa taille et de son poids, le Noir était entré
sans faire plus de bruit qu’un chat :
– Tu
vas abîmer tes mains pour rien, jeune femme ! Tu n’as aucune chance de
nous échapper. Mange plutôt ce que Domingo t’apporte !
Il
tenait une écuelle d’où s’échappait une odeur de viande et d’épices chaudes qui
rappela à la captive qu’elle avait faim. Docilement, elle s’assit sur son lit
pour recevoir ce qu’on lui apportait et dévora sans se faire prier le ragoût de
viandes et de raves contenu dans le récipient. Puis elle vida d’un trait un
gobelet de vin qui acheva de lui rendre ses forces et ce goût du combat qu’elle
croyait ne plus jamais retrouver, accablée qu’elle était par la douleur et les
regrets. Elle leva alors les yeux sur le géant noir qui la regardait :
– Puis-je
enfin poser des questions ? fit-elle.
– Que
veux-tu savoir ?
– D’abord,
qui êtes vous ?
– Rien.
On m’appelle Domingo, c’est tout.
– Ce
n’est pas beaucoup, en effet. L’homme de cette nuit, celui qui portait un
masque d’oiseau blanc et que vous avez empêché de... Quel est son nom ?
– Il
te le dira lui-même, s’il le juge bon. Domingo peut seulement dire qu’il est le
chef.
Se
rappelant la façon dont Domingo l’avait chassé de la cabine, Fiora pensa que c’était
là un drôle de chef mais, sentant qu’elle n’en saurait pas plus, elle changea
de sujet.
– Pourquoi
m’avez-vous enlevée ? Où m’emmenez-vous ?
Le
Noir hocha sa tête enturbannée et haussa les épaules dans un geste d’impuissance,
mais ne répondit rien. Reprenant les ustensiles qui avaient servi au repas, il
se dirigea vers la porte. Ce fut seulement sur le point de sortir qu’il murmura :
– S’il
veut te le dire, il te le dira. Repose-toi en attendant ! ...
– Je
me suis assez reposée ! s’écria Fiora qui commençait à perdre patience. Va
lui dire que je veux le voir !
– Tu
n’as aucun intérêt à dire : je veux !
Des
heures passèrent, interminables pour celle qui n’avait aucun moyen de les
mesurer. Le soir tomba, puis la nuit. Rivée à l’étroite fenêtre, Fiora vit que
la berge s’éloignait, sans doute parce que le fleuve s’élargissait. Une odeur
de vase dominait à présent celle de l’eau. De temps en temps, des voix se
faisaient entendre, mais elles s’exprimaient dans un langage inconnu. De guerre
lasse, Fiora finit par rejoindre sa paillasse où elle se roula en boule après s’être
enveloppée de son manteau. Elle ignorait où se trouvait cette ville de Nantes
où le navire de haute mer les attendait. Elle savait seulement – et pour cause !
– que c’était un port, et aussi qu’elle n’y serait plus sur les terres du roi
de France, mais sur celles du duc de Bretagne. C’est dire que le secours
devenait de plus en plus difficile, sinon impossible.
Un peu
avant l’aube, Domingo vint la réveiller. La barge n’avançait plus, elle roulait
un peu. A la lumière de la chandelle, Fiora vit que l’ouverture de sa cellule
avait été bouchée avec un tampon de bois taillé tout exprès pour s’y encastrer.
– Sommes-nous
à Nantes ? demanda-t-elle.
– Ne
pose pas de questions. Je dois te bander les yeux, ensuite je te porterai.
Il n’y
avait aucun moyen de refuser, le rapport des forces n’étant vraiment pas en sa
faveur. Fiora se laissa bander les yeux, puis se sentit soulevée de terre et
emportée comme un simple paquet. A travers le tissu du bandeau, elle perçut
vaguement la lumière et la chaleur d’une torche. Elle entendit quelques voix, s’exprimant
toujours dans cette langue inconnue, dont celle du faux marchand. A l’intonation,
elle comprit qu’il donnait des ordres.
Le
voyage dura un certain temps. En quittant la barge,
Fiora
sentit qu’on la déposait dans une barque dont les rames grinçaient un peu. Puis
Domingo la reprit, mais, au lieu de la tenir dans ses bras, ce qui était
relativement confortable, il la jeta sur son épaule comme un sac de grains et,
avec elle, monta une échelle qui devait être placée au flanc d’un bateau. A l’odeur
de vase se joignaient à présent celles du bois humide et du goudron. Il y eut
un bruit de pas
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