Fiora et le Pape
sous le talon ferré de ses bottes, était-elle parfaitement calme et
immobile.
Il
vint se planter devant elle, plastronnant, les jambes écartées et les mains
crochées dans le large ceinturon de cuir qui lui serrait la taille, avec la
satisfaction arrogante du brigand qui a réussi un beau coup. Fiora se demanda
un instant si elle allait devoir subir à nouveau ses assauts, mais Domingo ne
semblait pas décidé à céder la place et demeurait debout auprès d’elle comme un
énorme chien de garde. Ce fut à lui que l’homme s’adressa en premier :
– Tu
as bien travaillé. Grâce à toi, nous voici en sûreté sur ce bateau et notre
belle prisonnière n’a plus aucune chance de nous échapper. Tu peux la délier.
Puis tu nous laisseras.
Sans
un mot, le grand Noir débarrassa Fiora de ses liens, mais reprit sa place au
chevet de la couchette avec une fermeté qui ne laissait aucun doute sur sa
détermination. L’autre fit la grimace :
– Eh
bien ? tu n’as pas entendu ? Je t’ai dit de nous laisser !
– Non.
Domingo a été envoyé avec toi uniquement pour veiller sur la prisonnière. Il
doit en répondre. Domingo veille et veillera.
– Mais
enfin, s’insurgea Fiora qui, en retrouvant sa liberté de mouvement, se sentait
beaucoup plus forte, me direz-vous enfin où vous m’emmenez ? Cet homme a
dit hier que je valais beaucoup d’or. Qui doit donner cet or ? Vous n’allez
pas, j’espère, me livrer à quelque pirate sarrasin ?
– Rassurez-vous !
Ces gens-là ne sont pas assez riches, et il est vrai que vous valez cher.
– Alors
qui ? Pour qui Domingo veille-t-il sur moi ? A qui doit-il répondre
de moi ?
– Au
pape !
Fiora
crut à une boutade et haussa les épaules :
– Vous
n’êtes pas drôle ! Répondez-moi sérieusement. Qu’est-ce que vous risquez,
à présent ?
– Mais
je vous réponds sérieusement.
– Alors
vous mentez ! Le pape habite Rome. Si vous m’y emmeniez, je devrais être à
cette minute liée au fond de quelque litière ou de quelque chariot en route
vers Marseille ou tout autre port de la côté méditerranéenne. Or, on m’a appris
assez de géographie pour savoir que nous voguons sur le grand océan.
– Peste !
Vous êtes savante. Eh bien, ma chère, sachez que nous allons tout de même à
Rome. Le voyage en contournant l’Espagne est sans doute plus long, mais plus
sûr. Rien à craindre sur cette caraque des surveillances du roi Louis. Sur
terre, nous risquions de laisser des traces. Pas ici. De toute façon, Sa
Sainteté n’est pas pressée. Elle m’a dit : « Gian-Battista, prends le
temps qu’il faut afin de mener à bien ta mission. Si tu reviens pour la fin de
l’année, Nous en serons satisfait... »
Abasourdie,
Fiora n’arrivait pas à en croire ses oreilles.
– Le
pape ! répéta-t-elle. Mais qu’est-ce que le pape peut vouloir de moi ?
Vous êtes certain de ne pas vous tromper ?
– Tout
à fait certain. Vous êtes bien donna Fiora Beltrami ? Votre ami Nardi à
qui nous avons rendu visite à Paris nous a donné là-dessus toute assurance
quand nous l’avons... convaincu de nous dire où vous étiez cachée.
Un
désagréable filet glacé coula le long de l’échine de Fiora. Ce misérable avait
appuyé sur le mot « convaincu » au point de lui faire peur.
– Je
n’étais pas cachée, mais je m’étonne tout de même qu’Agnolo Nardi vous ait fait
ses confidences.
– Il
n’y était guère disposé. Il s’est même laissé griller quelque peu la plante des
pieds. Pas trop, rassurez-vous ! Nous avons eu une bien meilleure idée en
menaçant de faire subir le même sort à sa femme. Il est devenu beaucoup plus
bavard ! Et, bien sûr, nous avons veillé à ce que l’on ne vous envoie
aucun message. C’est à la suite de cela que j’ai eu le plaisir de vous voir à
Tours.
Horrifiée,
révulsée d’horreur et de dégoût, Fiora, toutes griffes dehors, bondit comme une
panthère furieuse à la gorge du misérable.
– Vous
avez osé ça ? En plein Paris ! Attaquer le meilleur des hommes, la
plus douce des femmes ! Qu’en avez-vous fait ? Répondez-moi ! Je
veux savoir.
Surpris
par l’attaque, l’homme qui étouffait déjà se défendait mollement. Les forces de
la jeune femme étaient décuplées par la rage et elle eût peut-être eu raison de
son ennemi si Domingo ne l’avait arrachée à temps. L’homme se laissa tomber sur
le sol en massant sa gorge douloureuse.
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