Fiora et le Pape
D’une voix enrouée, il déversa sur la
jeune femme un torrent d’injures italiennes auxquelles, faisant appel à ses
souvenirs, elle répondit avec brio. Un instant, la cabine se mit à ressembler à
quelque marché de la péninsule où les disputes sont le pain quotidien. Fiora,
un peu étonnée de ce vocabulaire imagé qui lui venait tout seul, se retrouvait
florentine jusqu’au bout des ongles et Domingo eut beaucoup de mal à empêcher
les deux adversaires de se colleter de nouveau.
– Foi
de Montesecco ! hurla Gian-Battista, a-t-on jamais vu pareille mégère ?
Une panthère ne serait pas plus méchante.
– Tu
oses parler de méchanceté, misérable ruffian ? Je veux savoir ce qu’il est
advenu de mes amis !
– Ils
se portent comme toi et moi, mieux que moi peut-être. Dès l’instant où je
savais ce que je voulais, ils ne m’intéressaient plus. Sois tranquille, ils
pourront encore voler leurs clients. Quant à toi... estime-toi heureuse que je
ne t’envoie pas à fond de cale. Tu vas rester avec elle, Domingo ! Si elle
réussissait à s’échapper, sois certain que je ferais voler ta grosse tête
noire, même si le pape la considère comme précieuse. Moi, je vous ai assez vus
tous les deux.
Il
sortit en titubant un peu, à la grande mais fugitive satisfaction de sa
prisonnière, vite reprise par l’anxiété. Que pouvait lui vouloir le « vicaire
du Christ » ? Pas grand-chose de bon, elle le redoutait. Elle avait
fait échouer ses plans sur Florence et envoyé dans une cage de fer l’homme que
Sixte IV avait chargé de poignarder le roi de France. Ce n’était certainement
pas pour la couvrir de fleurs qu’il avait pris la peine de monter cet
enlèvement. Peut-être le temps que durerait ce voyage mesurait-il celui qui lui
restait à vivre ? Quelle autre vengeance que la mort pouvait exercer un
pape ?
Soudain,
une violente nausée souleva l’estomac de Fiora. Le lourd bateau qui atteignait
la haute mer tanguait et roulait sur la longue houle atlantique. La jeune
femme, aux prises avec un mal de mer aussi subit qu’imprévu, trouva tout juste
la force d’aller se jeter sur sa couchette.
Certain
désormais qu’elle ne bougerait même pas un doigt, Domingo sortit pour aller
chercher de l’eau.
Deuxième partie LES PIÈGES
DE ROME
CHAPITRE V LES GENS DU
VATICAN
Sa Sainteté
Sixte IV n’était pas de bonne humeur. Le mauvais temps qui sévissait à Rome
depuis plusieurs jours, froid et humide, rendait plus douloureux ses
rhumatismes et réveillait même, par instants, la goutte latente qui le
tourmentait si souvent et si cruellement. Pour éviter une nouvelle crise, le
pape avait déjeuné très frugalement de légumes et de laitages, sans le plus
petit verre de ce vin des Castelli Romani qu’il affectionnait. Aussi son
estomac criait-il famine tandis que, deux familiers sur les talons, il
profitait de ce que la pluie avait fait trêve pour traverser la cour du Vatican
et s’en aller inspecter le chantier de sa chapelle en construction.
Il
allait à grands pas, enveloppé d’une cape doublée de renard, le « camauro »,
ourlé de fourrure, enfoncée jusqu’aux sourcils pour se protéger de l’air froid.
Assez grand mais aussi large que haut, les traits durs, le nez dans la ligne du
front, le menton agressif, la bouche serrée et l’œil inquisiteur, le poil
grisonnant, son visage haut en couleur était rasé de près. Sa silhouette sans
élégance, qui lui donnait toujours l’air d’être empaqueté dans ses vêtements,
lui conférait tout de même – et il le savait – une impression de force qui n’était
pas dépourvue de majesté.
En
dépit de ses genoux douloureux, Sixte escalada assez facilement les matériaux
qui encombraient le chantier. Le travail n’avançait pas à son gré. Depuis plus
de quatre ans que cette chapelle [viii] était commencée, il n’était même pas encore question du toit et le pontife ne s’était
déplacé que dans l’intention de dire leur fait aux gens chargés de l’ouvrage.
Quand il éprouvait une contrariété, il aurait fallu autre chose que ses
vieilles douleurs pour l’arrêter. En outre – et ses familiers le savaient –, il
n’aimait rien tant que se mettre en colère.
Pour
cette fois, il n’avait pas tort. Cette chapelle, il l’avait entreprise pour
donner au Vatican un lieu de culte digne du trône de Pierre, une vaste enceinte
où la pompe papale pût s’étaler à l’aise,
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