Fiora et le Pape
en trouverez, de
l’argent, mon ami. D’ailleurs, tenez ! On vous appelle ! Vous voyez
que j’avais raison.
Tandis
que le trésorier s’en allait, le dos rond et traînant les pieds, rejoindre son
maître, le cardinal alla examiner les travaux en cours d’un œil connaisseur. Il
avait le goût du faste et, partageant celui du pape pour les bâtiments, il
approuvait les nombreux travaux que celui-ci entreprenait un peu partout dans
Rome, dont il voulait ressusciter l’antique splendeur.
Laissant
son trésorier aux prises avec son architecte, le pape revint vers Borgia :
– Rentrons
à présent ! Mes jambes me font de plus en plus mal.
– Votre
Sainteté devrait prendre un peu de repos.
– Je
suis trop vieux pour prendre du repos. A mon âge on n’a plus de temps à perdre.
Conduis-moi à la bibliothèque ! Rien de tel qu’une heure de lecture pour
calmer les humeurs.
Solidement
étayé par son vice-chancelier, Sixte gagna lentement les grandes salles où il
avait installé la Bibliothèque vaticane, son œuvre la plus précieuse jusqu’à ce
jour et, à mesure qu’il s’en approchait, son humeur s’améliorait. L’ancien
moine franciscain, pauvre et sans naissance, qu’avait été Francesco della
Rovere n’aimait rien tant que les lettres et les sciences, si ce n’est l’or et
la puissance. Jadis, il avait professé successivement dans les universités de
Pavie, de Florence, de Bologne et de Sienne ; il en avait conservé une
vaste érudition et un grand appétit de savoir tourné surtout vers l’étude des
astres. Les meilleurs moments de sa journée, il les passait au milieu des
trésors qu’il avait accumulés, en compagnie du savant humaniste Platina dont il
avait fait leur gardien.
Quand
les gardes ouvrirent devant le pape et le cardinal les portes de la longue
galerie entièrement tapissée d’armoires peintes et dorées et meublée de larges
tables où s’entassaient manuscrits et instruments d’optique, Platina s’avança à
sa rencontre, étayant sur une canne sa mauvaise jambe [ix] . Il voulut s’agenouiller
pour baiser l’anneau du Pêcheur mais Sixte l’en empêcha, sachant que toute
génuflexion lui était une souffrance, et le prit familièrement par le bras pour
l’entraîner vers un pupitre. Là était posé un grand livre relié de velours
cramoisi, avec des ferrements d’argent, que l’on avait délivré de la chaîne qui
l’attachait à l’une des armoires :
– Je
vois que tu as sorti le Saint Augustin . Montre-moi vite ces passages qui
t’ont paru si étonnants !
D’un
petit geste désinvolte, il avait congédié le cardinal Borgia, mais il était
écrit que, ce jour-là, le pape n’aurait pas droit à sa récréation. Au moment
même où Borgia allait franchir la porte, un nouveau personnage s’y glissa :
le cérémoniaire de la cour pontificale, Agostino Patrizi, dont le long visage
pâle semblait souffrir de perpétuelles offenses. Confit dans les règles d’une
étiquette sévère à laquelle il croyait plus qu’à la loi divine, Patrizi avait
le génie de déranger le pape au moment le plus inopportun, mais il lui était si
aveuglément dévoué que celui-ci lui passait bien des choses, quitte à le faire
bénéficier d’une de ses célèbres colères quand il dépassait les bornes. Ce qui
faillit advenir ce jour-là.
– Qu’est-ce
que tu veux encore ! lui jeta le pape du plus loin qu’il l’aperçut.
L’autre
se jeta à genoux :
– Très
Saint-Père, bafouilla-t-il, voici plusieurs semaines déjà vous m’aviez dit de
vous prévenir, en quelque lieu que vous soyez, lorsque Gian-Battista de Montesecco
viendrait au palais.
Sixte
tourna aussitôt le dos à Saint Augustin :
– Il
est là ?
– Oui,
Votre Sainteté !
– Seul ?
– Non.
Votre esclave nubien Domingo est avec lui... et il y a aussi une femme.
– Quel
genre de femme ? Ne fais pas cette tête-là ! Décris-la-moi !
L’air
offensé de Patrizi était en effet plus évident que jamais. Il leva les yeux au
ciel et soupira :
– Jeune,
brune... et je crois qu’on peut dire qu’elle est très belle. Du moins elle le
serait si elle n’avait pas l’air si fatigué.
– Tiens
donc ? souffla Borgia entre ses dents. Tu joues les maquereaux à présent,
monsignore ! Où l’as-tu dénichée, celle-là ?
Dédaignant
de répondre, Patrizi fit le geste de chasser une mouche importune et marcha
au-devant du pape qui clopinait vers
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