Fiora et le Pape
l’église écroulée. Fiora resta là un instant,
au bord de ce désert, goûtant une merveilleuse impression oubliée depuis bien
des jours : elle était seule, elle était libre... Une fois hors de cette
ville, une fois franchie la porte dont elle apercevait vaguement les feux de
guet, il n’y aurait plus que la longue route qui menait à sa chère cité du Lys
rouge. Elle en oubliait qu’il faisait nuit, qu’il faisait froid et que, tant qu’elle
n’aurait pas laissé, loin derrière, les murs de Rome, elle serait en danger,
tant il est vrai que le premier contact d’un prisonnier avec le grand air est
toujours grisant. Elle avait envie de courir pour avoir davantage l’impression
de s’envoler, mais c’eût été dangereux dans ce terrain inégal et sans la
moindre lumière qui lui permît de suivre un quelconque tracé, en admettant qu’il
y en eût un.
Fiora
se mit donc en marche calmement vers le point qui lui avait été indiqué,
essayant de ne pas buter sur les mottes de terre ou les dalles qui se
soulevaient, regrettant de ne pas avoir une canne ou un bâton quelconque pour
tâter son chemin. Elle arrivait à peu près à la hauteur du mausolée abandonné
au pied duquel une vague lueur apparaissait dans les buissons quand, soudain,
deux bras s’abattirent sur elle et la ceinturèrent, la réduisant à l’impuissance
en dépit de sa défense, tandis qu’une voix triomphante criait :
– J’en
tiens une !
– Tu
rêves ! fit une autre voix. Tu as dû prendre quelque berger !
– Je
te dis que c’est une femme ! Elle a même des tétons bien ronds et bien
fermes !
D’autres
mains s’étaient posées sur Fiora, tâtant ses seins ou s’appuyant sur sa bouche
pour la faire taire. Il y avait à présent quatre ou cinq ombres qui la
pressaient, sentant le cuir, le cheval ou même la crasse. Elle pensa qu’elle
était tombée au pouvoir de bandits et s’efforça de mordre la main qui l’étouffait,
sans y réussir. Une nouvelle voix, impérieuse celle-là, ordonna :
– Amenez-la
ici qu’on voie à quoi elle ressemble ! Résister était impossible. Les
ombres qui tenaient Fiora
et qui
portaient toutes des masques noirs l’entraînèrent vers le mausolée. Elle se
retrouva dans une sorte de niche au milieu des buissons, éclairée par une
lanterne. Un peu plus loin, il y avait des vaches à l’attache.
On
jeta Fiora à terre et elle vit se dresser devant elle, masqué lui aussi, un
homme grand et fort, vêtu d’un pourpoint brodé sous un grand manteau noir et
qui, les poings aux hanches, la regardait en riant à gorge déployée, montrant
des crocs de loup.
– Tenez-la,
vous autres ! ordonna-t-il comme la jeune femme se débattait furieusement
pour se relever. C’est un vrai chat en colère... mais on dirait que nous avons
eu de la chance. Une belle prise, ma foi ! Celles qui viennent dans ces
ruines pour y chercher des herbes la nuit ne sont pas souvent aussi
affriolantes ! Voyons ça de plus près ! Ouvre son corsage, Orlando,
et toi, Guido, retrousse ses jupes.
En un
instant, Fiora horrifiée se retrouva les seins et les cuisses à l’air tandis
que le chef commençait à dénouer ses aiguillettes. Elle se tordit comme un ver,
ce qui fit hurler de rire ses compagnons.
– Pas
tant d’histoires, la fille, tu n’en mourras pas ! Nous ne sommes que six !
Un
instant délivrée de la main appliquée sur sa bouche et qui glissa, Fiora hurla :
– Au
secours ! A moi ! Au sec...
Elle
entendit alors une voix qui répondait, en écho :
– Attaque
Zeus ! Attaque Héra !
Surgies
de la nuit, les puissantes formes noires des grands chiens qu’elle connaissait
déjà s’abattirent sur quatre hommes à la fois qui hurlèrent sous leurs
morsures. En même temps, leur maître apparaissait dans le halo jaune de la
lanterne. Sa canne s’était changée en une longue épée dont la pointe vint s’appuyer
sur la gorge de l’homme qui s’apprêtait à violer Fiora :
– Eh
bien, seigneur Santa Croce, fit la voix froide de l’Infessura, on se met à six
à présent pour mettre à mal une bourgeoise romaine ?
– Une
bourgeoise, ça ? Tu veux rire l’ami ? Que ferait-elle à cette heure
de la nuit dans ces ruines ?
– Même
la femme d’un notaire a le droit d’aller rejoindre son amant qui est aux
Colonna, comme tout ce vieux mausolée et ce qui l’entoure. Tu devrais savoir
ça, Giorgio Santa Croce ! Comme tu devrais savoir que lu
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