Fiora et le Pape
cette
demeure était celle d’un homme important pour la communauté juive.
Le
poing de Stefano frappa cette porte selon un code convenu et elle s’ouvrit peu
après sous la main d’une jeune femme vêtue d’une robe de soie jaune à manches
flottantes et dont les cheveux, d’un noir d’encre, étaient tressés en plusieurs
nattes sous une sorte de tiare orfévrée d’où tombait un voile safrané. Elle
tenait une chandelle.
– C’est
moi, Anna, dit l’Infessura. Je t’amène une amie. Elle a froid et elle a été
blessée par la bande de Santa Croce en s’enfuyant du palais Borgia.
La
main qui tenait la chandelle s’éleva de façon à mieux éclairer le visage de la
nouvelle venue.
– Ah !
... Entrez, bien sûr, mais je vais vous prier d’attendre un instant car j’ai
une visite. Asseyez-vous là !
Elle
recula pour laisser le passage. La porte donnait sur une petite salle, pavée
comme une rue et pauvrement meublée : une table, trois escabeaux, un
coffre et des bancs courant le long du mur. C’est l’un de ces bancs, le plus
éloigné de l’entrée, que désignait la Juive. Au fond de la pièce, un rideau à
grands ramages couvrait quelques marches descendant vers la salle suivante.
Soudain, ce rideau se souleva sous la main d’une petite femme mince élégamment
vêtue de velours brun et de soie blanche.
– Que
fais-tu là ? fit Anna d’un ton mécontent. Je t’avais dit d’attendre. Tu es
trop curieuse !
Mais
la nouvelle venue ne l’entendait pas. Les bras tendus, elle se précipitait vers
les arrivants avec un cri de joie.
– Maîtresse !
Ma chère maîtresse !
Fiora,
qui tenait debout par miracle et par la seule force de son compagnon, leva les
yeux et se crut victime d’un mirage. Il fallait que c’en fût un, sinon, comment
imaginer que Khatoun était en train de la prendre dans ses bras ? Ses
jambes fléchirent...
– Elle
s’évanouit encore, constata Stefano. Il faut t’occuper d’elle tout de suite,
Anna !
CHAPITRE IX TROIS FEMMES
C’était
bien Khatoun. Fiora s’en convainquit lorsque, au bout de quelques instants,
elle émergea de son malaise, dû à la fatigue et au sang perdu. L’Infessura
avait dû lui administrer une nouvelle dose de son cordial miraculeux, plus
peut-être quelques gifles, car elle se sentait les joues chaudes et le goût
poivré et parfumé de tout à l’heure était revenu dans sa bouche. Son esprit
retrouva toute sa clarté sous l’influence de la joie en voyant, penché sur elle
et noyé de larmes, le visage triangulaire aux yeux de chat de la jeune Tartare.
Elle lui entoura aussitôt le cou de son bras pour plaquer sur ses joues deux
baisers dont la sonorité traduisait sa joie.
– Mais
que fais-tu là ? Je croyais bien ne plus te revoir...
– Moi
non plus, maîtresse. C’est un grand bonheur pour Khatoun, même si elle te
retrouve dans un triste état.
– Je
ne suis plus ta maîtresse depuis longtemps.
– Tu
le seras toujours pour moi, même si je dois obéir à quelqu’un d’autre. Comment
oublier les jours heureux d’autrefois ?
– Vous
vous embrasserez plus tard, fit une voix sévère. Je voudrais pouvoir poursuivre
cet examen.
Fiora
vit alors qu’on l’avait couchée sur une table, la tête soulevée par un coussin,
et qu’Anna repoussait douce-.ment Khatoun. Elle avait ôté le tampon de linge
appliqué
par Stefano
et le tenait encore dans une main. Il était rouge de sang, preuve que la
blessure avait beaucoup saigné. Anna le jeta, se détourna pour prendre quelque
chose derrière elle, puis retroussa haut sur des bras minces et dorés les
grandes manches de sa robe. Dans une main, elle tenait une sorte d’aiguille d’or
au bout arrondi qu’elle éleva en l’air.
– Tenez-lui
les bras, ordonna-t-elle. Je dois sonder la plaie et il ne faut pas qu’elle
bouge.
– Je
ne bougerai pas, affirma la blessée, ce qui amena un bref sourire sur les
lèvres charnues de la Juive.
– C’est
une promesse que l’on tient rarement. Je préfère que l’on t’immobilise. Cela te
fera un peu mal, mais si tu remues, cela pourrait t’en faire beaucoup.
Les
mains de Khatoun et de Stefano s’abattirent en même temps sur les bras de Fiora
qui vit se pencher sur elle, attentif, l’étroit visage brun de son étrange
médecin. En dépit d’une bouche un peu forte, Anna était belle grâce aux plus
beaux yeux noirs que Fiora eût jamais vus. La courbure aquiline de son
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