Fiora et le roi de France
mouche. D’où ce démon
pouvait-il savoir quelque chose de Lorenza ? Avait-elle été suivie, épiée
depuis son départ de la Rabaudière et durant tout ce temps ? C’était
presque impossible, et pourtant elle savait que, depuis longtemps, Louis XI
avait rayé le mot impossible de son vocabulaire. Renonçant à poser d’autres
questions qui eussent trop réjoui ce misérable, elle se tourna vers le sergent :
– Puisque
je dois aller en prison, voulez-vous m’y conduire ? Là ou ailleurs, j’ai,
de toute façon, grand besoin de repos...
On se
mit en marche avec, en contrepoint, les cris furieux de Florent que l’on avait
dû attacher dans l’écurie. Une demi-heure plus tard, Fiora et son escorte
pénétraient dans la cour d’honneur du château. La jeune femme pensait qu’on l’enfermerait
dans la grosse tour isolée de la première cour, celle que l’on appelait la « Justice
du Roi », mais il n’en fut rien. On ne fit que traverser cette sorte d’esplanade
où se trouvaient les logis de la Garde écossaise et où, au milieu des cris et
des encouragements, plusieurs de ces vaillants fils des Hautes Terres se
mesuraient aux armes. Elle chercha vainement la haute silhouette de son ami
Mortimer et, ne l’apercevant pas, cessa de s’intéresser à ce qui s’y passait.
Une
autre prison, plus petite, se trouvait à l’angle de la cour d’honneur et des
jardins, prise dans l’épaisseur du mur d’enceinte qui défendait le logis royal.
Celle-là devait être réservée aux prisonniers de marque et la nouvelle venue,
qui s’attendait à une basse-fosse, fut agréablement surprise. La chambre dans
laquelle on l’introduisit ne possédait aucun luxe : le sol en était fait
de grosses dalles, la porte bardée de verrous et d’énormes pentures de fer
montrait un petit guichet grillagé. Quant à la fenêtre, étroite et placée assez
haut pour décourager l’escalade, elle portait deux barreaux en croix gros comme
un bras d’enfant. Mais c’était tout de même une chambre avec un lit à
courtines, des draps et des couvertures, une table pour la toilette, une autre
pour prendre les repas, un coffre à vêtements et deux sièges : une chaise
à bras et un escabeau. Enfin, le geôlier qui accueillit la prisonnière
ressemblait à un être humain et non à un molosse prêt à mordre : lorsqu’il
eut ouvert la porte, devant elle, il lui offrit la main en lui recommandant de
prendre garde au « pas ». Elle l’en remercia d’un sourire puis,
avisant le lit, elle s’y jeta pour y dormir comme une bête harassée, plongeant
d’un seul coup dans un profond sommeil qui fut certainement une manifestation
de la miséricorde divine : ce coup tellement inattendu, ce coup affreux
qui la frappait après le calvaire qu’elle venait d’endurer eût été capable de
la mener aux portes de la folie.
Elle
ne s’éveilla que le lendemain matin, au vacarme des verrous tirés, quand le
geôlier pénétra dans sa chambre pour lui apporter son repas :
– Vous
devez avoir faim, lui dit-il dans ce langage élégant qui est l’apanage des gens
de Touraine. Hier, je vous ai monté un plateau, mais je vois que vous n’y avez
pas touché. Il est vrai que vous dormiez si bien...
– C’est
vrai, dit Fiora. J’ai faim, mais si je pouvais avoir de l’eau pour faire ma
toilette, je vous en serais reconnaissante.
Fouillant
dans sa bourse, elle en tira une pièce d’argent qu’elle voulut lui donner, mais
il la refusa :
– Non,
merci, noble dame ! Les ordres de notre sire le roi sont de ne vous
laisser manquer de rien. En m’occupant de vous, je ne fais que mon devoir...
– Manquer
de rien ? Je crains que vous ne puissiez me donner ce qui me manque le
plus : mon fils...
Le
brave homme eut un geste navré :
– Hélas
non ! Je ne peux donner que ce que l’on m’autorise à vous procurer. Croyez
que je le regrette... Je vais vous apporter de l’eau chaude, des serviettes et
du savon. Mangez, en attendant ! Votre repas va refroidir.
Le
repas, c’étaient du lait chaud, du pain croustillant et encore tiède, du miel
et une petite motte de beurre enveloppée dans une feuille de vigne que Fiora
considéra avec une sincère stupeur :
– Est-ce
que vous nourrissez aussi bien tous vos prisonniers ? Je sais peu d’auberges
de bon renom où l’on vous traite de cette façon !
– C’est
que vous êtes la seule pensionnaire en ce moment et que ma femme est autorisée
à
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