Fiora et le roi de France
figée à la même place, écoutant
décroître, sur les degrés de pierre, les pas curieusement alourdis de Léonarde.
Et puis, il y eut le bruit du lourd vantail donnant sur la cour... Fiora était
seule à présent, seule en face d’elle-même, de son passé, de ses fautes, de ses
amours réelles ou simulées.
Tout
cela, se dit-elle, n’était qu’un affreux gâchis et il eût mieux valu qu’au
lendemain de la mort de son père, elle subît l’ordalie par l’eau que Hieronyma,
sûre de s’en sortir indemne, avait réclamée pour elles deux. Il y aurait beau
temps que son corps, emporté par les eaux jaunâtres de l’Arno, se serait fondu
dans la mer bleue. Philippe ne serait pas né... Lorenza non plus, mais Fiora
était moins inquiète pour sa petite fille que pour son fils. Lorenza vivrait
protégée par le double amour d’Agnolo et d’Agnelle et peut-être aussi par la
puissance de son père... si toutefois Lorenzo de Médicis venait à bout de la
guerre impie à laquelle le contraignait le pape. Tandis que Philippe, si son père
ne quittait pas le refuge illusoire de son prieuré pour veiller lui-même sur
son fils, n’aurait que Léonarde, déjà vieille, et aussi les braves gens de la
Rabaudière. Mais le roi aurait-il pitié de cet enfant doublement orphelin ?
Lorsque
le supérieur du petit couvent enfermé dans les murs du Plessis-Lès-Tours
pénétra dans sa prison pour entendre sa confession, il trouva Fiora assise sur
son lit, les mains posées calmement sur ses genoux.
La
confession dura longtemps. Pour être comprise de cet homme simple qui n’avait
guère à juger que les péchés des gardes du château et des serviteurs, Fiora dut
lui raconter une grande partie de sa courte vie. En passant par les mots, cela
paraissait tellement étrange, tellement anormal, qu’elle comprit parfaitement l’air
effaré du moine...
– Êtes-vous
sûre, ma fille, de ne rien inventer ? fit-il horrifié quand elle évoqua
ses étranges relations avec le pape. Notre Saint-Père ne saurait observer si
noir comportement ?
– Je
ne suis pas surprise de votre réaction, sire abbé. Mais vous n’êtes pas
italien. De là vient toute la différence. J’essaie simplement de vous faire
comprendre pourquoi j’ai dû commettre tant de fautes et je vous demande de les
pardonner aussi sincèrement que je les regrette. Songez que demain, peut-être,
je vais comparaître au tribunal de Dieu. Mais Lui n’aura pas besoin d’explications...
Le
religieux reparti, Fiora, tout son courage revenu, mangea de bon appétit la
fricassée de canard et de pâté de veau que le bon Grégoire lui servit avec une
belle salade et des pâtes sucrées et frites accompagnées d’un pichet de vin d’Orléans
frais. Un petit panier de cerises achevait ce festin auquel la jeune femme fit
honneur en refusant d’entendre les reniflements de son geôlier et de voir ses
yeux, presque aussi rouges que ceux de Léonarde. Après quoi, elle se coucha et
s’endormit aussi tranquillement que si le lendemain devait être un jour comme
les autres...
Levée
avec l’aube pour une longue et minutieuse toilette, Fiora revêtit une robe qu’elle
aimait particulièrement, faite d’épais cendal blanc brodé de petites branches
vertes et d’entrelacs dorés. Incapable de se faire à elle-même une de ces
coiffures pour lesquelles il faut l’aide d’une suivante, elle lissa
soigneusement ses épais cheveux noirs, puis tressa deux nattes qu’elle épingla
sur sa nuque en un lourd chignon qu’aucune lame ne pourrait traverser. C’était
sa façon à elle de défier la mort. Après quoi, elle prit un voile blanc, le
posa sur sa tête et l’enroula autour de son long cou mince, comme autrefois, au
cours de ses longues chevauchées, lorsqu’elle voyageait en robe. Après quoi,
elle attendit qu’on vienne la chercher.
Fiora
savait qu’elle était autorisée à entendre la messe dans la petite chapelle
dédiée à Notre-Dame de Cléry, l’oratoire préféré du roi, qui se trouvait à l’ouest
de la première cour, près du donjon. Tornabuoni et le Daim, eux, l’entendraient
dans celle du château qui faisait suite aux appartements royaux.
Fiora
appréciait cette disposition qui la mettait à l’abri d’une rencontre avec ces
deux hommes acharnés à sa perte. En traversant la cour d’honneur pour passer
dans la première, elle aperçut devant le logis royal une tribune, tendue aux
couleurs de France. Un vaste espace,
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