Fiora et le roi de France
C’est une attention
à laquelle je suis sensible...
– Vous
ne croyez tout de même pas que l’on va vous trancher la tête et que ceux qui vous
aiment laisseront faire ?
– Ceux
qui m’aiment n’auront pas la permission de me défendre et je ne vois pas qui
pourrait prendre, pour une inconnue, un risque aussi considérable.
– Et
messire Philippe, votre époux ? L’avez-vous retrouvé ?
– Oui
et non. Je l’ai vu, en effet, mais il est à jamais perdu pour moi...
Et,
avec une grande sobriété, Fiora raconta ce qui s’était passé à Bruges, puis par
quel hasard extraordinaire elle avait rencontré Philippe là où elle ne l’attendait
pas. Enfin, ce qu’ils s’étaient dit et comment il avait décidé de demeurer au
couvent.
– Au
couvent ! Lui !... C’est insensé ! Ne vous aime-t-il donc plus ?
– Si...
du moins il le dit, mais je ne suis pas certaine que ce soit la vérité. Il s’abuse
lui-même ou il le prétend pour me ménager. Voyez-vous, Léonarde, je n’ai été qu’un
épisode dans le grand rêve chevaleresque du comte de Selongey. Un épisode qui d’abord
lui a fait honte, mais qu’il acceptait par dévotion envers son duc. Celui-ci
mort et la Bourgogne perdue, plus rien ne l’intéresse. N’en parlons plus,
voulez-vous Léonarde ! J’aimerais bien mieux que vous me disiez ce qui s’est
passé avec Khatoun ?
– Si
je le savais ! soupira Léonarde...
La
jeune Tartare avait disparu de la Rabaudière le soir du retour de Léonarde. En
apprenant que Fiora ne revenait pas, mais au contraire se rendait en Flandre en
compagnie de Florent, elle était allée s’enfermer dans sa chambre, refusant d’en
sortir même pour le repas. Et le lendemain matin, on s’aperçut qu’elle s’était
enfuie le plus classiquement du monde, en nouant ensemble les draps de son lit.
– Et
elle n’a pas laissé un mot, quelques lignes ?
– Rien !
Péronnelle m’a dit que, dans les derniers temps de notre longue absence, elle
rencontrait – secrètement disait-elle, mais dans un village il est difficile d’empêcher
les langues de marcher – un jeune et beau seigneur...
– Luca
Tornabuoni, mon ancien soupirant qui, après la conspiration des Pazzi, a manqué
la faire écharper par les bouchers de Florence. Si je n’avais entendu ce
misérable de mes propres oreilles, je ne le croirais pas...
– Oh !
... J’ai appris bien des choses qui peuvent expliquer ce fait surprenant. Cette
pauvre Khatoun et Florent étaient... disons très bons amis. En outre, je crois
qu’elle pensait n’avoir pas, dans votre maison, la place qui lui revenait de
droit et jalousait un peu tout le monde.
– Ne
lui avais-je pas confié mon fils ? Quelle plus grande marque d’estime
pouvais-je lui donner ?
– L’estime,
l’estime ! Elle voulait de l’amour... et surtout pas de responsabilités !
Que vous le croyiez ou non, Khatoun est faite pour la vie paresseuse d’un
harem, une vie de sucreries et de caresses...
– J’ai
peine à croire qu’elle les trouve auprès de Luca ! C’est un égoïste
fieffé. Si nous pouvions seulement savoir où elle est ?
– Non,
Fiora ! Ne comptez pas sur moi pour la chercher, même si je le pouvais.
Elle est assez âgée à présent pour se conduire seule et elle vient de vous
faire du mal !
– C’est
peu de chose en comparaison de tant d’années de dévouement ! Oh, Léonarde !
Je me tourmente pour elle...
Léonarde
ne dit pas qu’elle préférait voir Fiora se tourmenter pour Khatoun que pour
elle-même. Cette affaire de jugement de Dieu ne lui plaisait pas du tout.
Néanmoins, l’angoisse ne l’étreignait pas encore, car une idée lui était venue :
faire tenir une lettre à la princesse Jeanne, au château de Lignières, pour lui
demander d’intervenir. Certes, la princesse n’avait pas grand pouvoir sur son
terrible père, mais la vieille demoiselle savait que devant son regard
véritablement céleste, il arrivait au roi de se sentir mal à l’aise. A ce cœur
angélique on pouvait tout demander. A défaut de Mortimer, paraît-il envoyé en
mission par le roi dès la veille au soir, à défaut de Commynes expédié de la
même manière, sans doute pour leur ôter toute envie d’entrer en lice pour
Fiora, Léonarde pensait confier sa lettre à Archie Ayrlie, cet Écossais qui
avait enseigné l’équitation à Florent. C’était un brave garçon, venu plus d’une
fois vider quelques pots à la
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