Fiora et le roi de France
libérerait, et tu le sais bien.
– Ma
liberté ? C’est lui qui me l’a rendue en me conduisant au palais Riario et
en rentrant chez lui avec Khatoun habillée de mes vêtements. Quant à mettre en
doute ma parole, c’est indigne ! Souviens-toi de l’homme qu’était Philippe
de Selongey. Je l’aimais, je l’aime encore et tu oses prétendre que je me suis
laissée marier de bon gré ?
– Oh,
je ne l’ai pas oublié !
Saisissant
Fiora par un bras, il la traîna plus qu’il ne la conduisit vers un précieux
miroir de Venise qui, placé près d’une fenêtre, reflétait la calme et
harmonieuse ordonnance du jardin intérieur. Leur double image s’y inscrivit :
– Regarde !
Regarde bien ! ... Je suis laid, Fiora, je suis même affreux, et Carlo ne
l’est guère plus que moi. Pourtant, tu m’as laissé te prendre encore et encore !
Bien mieux, c’est toi qui t’es offerte le premier soir. Rappelle-toi ! Tu
m’as conduit dans ta chambre, tu as dénoué les cordons de ta chemise. Était-ce
par amour pour ton époux défunt que tu me révélais ton corps, que tu m’attirais
à toi ?
– J’avais
envie de toi... et cette envie n’est pas assouvie, sinon je serais partie...
– Tu
aimes l’amour que je te donne, mais c’est à lui que tu penses toujours par-delà
la mort, à ce Bourguignon insolent dont je croyais pourtant avoir exorcisé le
souvenir.
– Il
y a des souvenirs impossibles à effacer, Lorenzo !
– Vraiment ?
Sommes-nous donc à ce point semblables que tu acceptes mes caresses... et même
que tu les provoques dans la chambre même où il a fait de toi une femme ? C’est
à lui que tu penses quand tu gémis sous moi ? Pourtant, c’est mon nom que
je cueille sur ta bouche au plus fort du plaisir...
– Ainsi,
c’est pour cette raison que tu es venu à moi dans la nuit qui a suivi le crime ?
murmura Fiora avec amertume. Pour la joie d’une revanche, pour triompher d’un
mort ? Et moi qui croyais que tu avais besoin de moi comme j’avais besoin
de toi ? Cela prouve seulement que nous nous sommes rejoints sur un
malentendu... Mais qu’espérais-tu prouver en m’expliquant que Carlo est juste
un peu plus laid que toi ? Qu’il me suffit de fermer les yeux pour
accueillir n’importe quel homme dès l’instant où il en est vraiment un ?
Une
voix faible qui semblait sortir du parquet de bois précieux se fit entendre alors,
une voix qui disait :
– Lorenzo,
Lorenzo ! ... Quand tu respires le parfum d’une rose, lui demandes-tu si
elle se souvient des mains qui l’ont fait éclore ? Où est donc passée ta
philosophie ? Saisir l’instant, n’est-ce pas ? Tu en es bien loin, il
me semble !
Avec
une sincère stupeur, Lorenzo considéra le blessé. Appuyé sur un coude, il s’était
redressé et regardait les deux amants avec, au fond de ses yeux bleus, une
petite flamme ironique.
– Carlo !
souffla-t-il. Je te croyais idiot !
– Je
sais. Et moi je te croyais intelligent. Faut-il donc être un déshérité comme
moi pour savoir apprécier un fabuleux cadeau de la vie ? Nous sommes amis,
Fiora et moi, et cela me donne assez de joie pour que j’accepte volontiers d’être
livré à ces gens qui continuent de s’égosiller sous la pluie pendant que toi,
privilégié entre tous, heureux entre tous puisqu’elle s’est donnée à toi, tu en
es encore à chercher ce que peuvent cacher tes nuits de félicité...
Au
prix d’un violent effort qui le fit pâlir un peu plus encore, il réussit à s’asseoir.
– Ce
que je me demanderais, si j’étais à ta place, c’est comment je pourrais faire
pour la garder. Mais, après tout, peut-être que cela ne t’intéresse pas
vraiment.
Il
cherchait un appui pour se mettre debout. Fiora se précipita, s’assit auprès de
lui et, passant un bras autour de ses épaules, l’obligea à rester immobile,
essuyant à l’aide de son mouchoir la sueur qui perlait à son front.
– Où
prétendez-vous aller de ce pas ?
– Donner
leur pâture à ces corbeaux criards, fit-il avec un petit rire. Ils n’auront pas
grand ouvrage : je suis à moitié mort. Et dans un sens ils me rendront
service...
– Nous
irons ensemble, Carlo. Monseigneur Lorenzo n’a jamais été capable d’imposer sa
loi quand Florence prend feu. Une façon comme une autre de lui faire croire qu’elle
est encore une république...
Le
dédain qui vibrait dans la voix de la jeune femme souffleta
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