Fiora et le roi de France
soupira :
– J’ai
honte de moi, Lorenzo... Jamais je ne parviendrai à m’arracher à toi...
– Je
l’espère bien. Et pourquoi nous séparerions-nous ?
– Tu
oublies que j’ai un enfant, que je ne l’ai pas vu depuis des mois... et qu’il
me manque.
– Je
vais le faire chercher bientôt. Je pense souvent à nous, tu sais, et les
projets ne me manquent pas. J’ai même donné l’ordre que l’on répare pour toi l’ancien
palais Grazzini. Tu y vivras avec ton fils et ta maison sous le nom de
Selongey. Non... ne dis rien ! Je ferai de ton fils l’un des premiers de
Florence. Il sera riche, puissant, et rien ne l’empêchera, le temps venu, d’aller
servir sous les armes du souverain qu’il aura choisi... Quant à nous, nous
serons ensemble, ma fleur précieuse, et je pourrai continuer à t’entourer de
soins... et d’amour.
– D’amour ?
– Mais
oui. Si ce qui nous unit n’en est pas, cela y ressemble terriblement. Florence
va vivre des jours sombres, Fiora. Je vais avoir besoin, plus que jamais, de
ces heures incomparables que tu me donnes. Quant à toi, tu prendras dans le cœur
de mes sujets la place qui était celle de Simonetta, car leur nature profonde
les attire vers la beauté parfaite. Il leur semble que Florence ne peut être
brillante que si elle s’incarne dans une femme éblouissante... Ne t’occupe de
rien ! Laisse-moi faire ! Ensemble, nous gagnerons la bataille contre
ce pape indigne qui veut notre extermination.
Sixte
IV, en effet, avait ouvert les hostilités. Un bref, daté du 1 er juin
1478, excommuniait à la fois Lorenzo, « fils d’iniquité » dont le
plus grand tort à ses yeux était d’être encore vivant, et les prieurs de la
Seigneurie « possédés d’une suggestion diabolique, emportés comme des
chiens par une rage délirante » pour avoir osé pendre un archevêque
assassin devant leurs fenêtres.
Lorenzo
reçut la nouvelle sans broncher. Les foudres d’un pape indigne ne l’intéressaient
pas. Il se contenta de renvoyer à Sienne, sous bonne escorte, le jeune cardinal
Rafaele Riario qui, depuis le meurtre commis dans la cathédrale, vivait dans un
état de stupeur profonde. Ce qui ne calma en rien le pontife ulcéré. Les
Florentins reçurent l’ordre de livrer Lorenzo de Médicis à un tribunal
ecclésiastique devant lequel il répondrait de ses crimes. Injonction qui n’eut
pas plus de succès. Le peuple refusa toute invitation à la révolte : il n’acceptait
aucun ordre du pape dans le domaine temporel. Et il se referma d’un seul cœur,
d’un seul élan, autour du prince qu’il s’était donné, partageant le chagrin que
lui causait la mort de son frère, ce Giuliano en qui chaque Florentin voyait l’image
la plus achevée du charme et de l’art de vivre de sa ville.
Le
pape alors se prépara à la « guerre sainte ». Tout en recrutant des
condottieri et en resserrant son alliance avec Naples et Sienne, il écrivit
dans toute l’Europe pour inviter les princes chrétiens à prendre part à l’hallali
final.
Le
résultat de ce fulminant courrier pontifical fut très différent de ce qu’espérait
son auteur. Les souverains d’Europe ne voyaient aucun motif de se lancer à l’attaque
de Florence pour plaire à un pape qui voulait punir, par l’extermination d’une
ville, un attentat sacrilège commis dans une église. Les messages arrivés au
Vatican, pleins de révérence et de formules aimables, montraient une
décourageante platitude. Un seul destinataire ne répondit pas : le roi de
France, décidé à faire connaître son opinion à sa façon.
Un
soir de la mi-juin, Fiora, sachant que Lorenzo retenu par les affaires ne
viendrait pas cette nuit, se promenait au jardin avec Démétrios et Carlo qu’ils
soutenaient chacun d’un côté. Admirablement soigné par le Grec, délivré de l’impitoyable
contrainte qu’il s’était imposée depuis l’enfance afin de survivre, le jeune
homme s’abandonnait à la joie simple de revivre. Dans ce cadre proche de celui
qu’il aimait, Carlo pouvait recevoir des soins attentifs, sentir des amitiés
venir à lui et laisser glisser les jours entre un homme d’esprit profond et de
grande culture et une femme ravissante qui lui témoignait une affection de sœur.
Il n’ignorait rien, bien sûr, de ce qui se passait souventes nuits dans la
petite grotte, mais, ne s’étant jamais considéré comme l’époux de Fiora, il ne
faisait qu’en sourire, heureux
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