Fiora et le roi de France
tué
si donna Catarina ne m’avait caché. C’est elle encore qui nous a donné les
moyens de quitter Rome, à Khatoun et à moi. Khatoun voulait vous rejoindre...
– Et
vous ? Souhaitiez-vous aussi me retrouver ?
Il y
eut un petit silence et le visage blessé esquissa l’ombre d’un sourire timide.
– Non.
Je savais que vous n’auriez aucun plaisir à me revoir. Ce que j’espérais... c’était
retourner dans mon jardin de Trespiano. J’y ai vécu les seuls jours clairs de
ma vie. Quant à la comédie qu’on nous a fait jouer, je voudrais que vous l’oubliiez
et que vous viviez comme si je n’existais pas...
– Quelle
comédie ?
Cette
question, c’était Lorenzo qui venait de la poser d’une voix âpre et brutale. En
levant la tête vers lui, Fiora vit le pli amer de sa bouche et la lueur
inquiétante que la colère allumait dans ses yeux noirs. Elle le connaissait
trop pour ignorer qu’il ne se contenterait pas d’une demi-vérité. Sans lâcher
la main de Carlo qui, las d’avoir parlé, s’abandonnait à la fatigue, elle
déclara d’une voix basse que seul le Magnifique put saisir :
– La
veille du jour où je me suis enfuie de Rome, le pape nous a mariés dans sa
chapelle privée...
A ce
moment, comme si le ciel n’eût attendu que ces mots pour manifester sa
désapprobation, un coup de tonnerre roula d’un bout à l’autre de la ville et
une pluie diluvienne s’abattit, saluée dans l’instant par une clameur haineuse
de la foule toujours massée devant le palais :
– A
mort le Pazzi ! Qu’on nous le livre ! Épouvantée, Fiora serra plus
fort la main maigre qu’elle tenait et murmura :
– Si
tu le livres, Lorenzo, il faudra que tu me livres aussi...
CHAPITRE II LE VISITEUR DE
LA SAINT-JEAN
L’instant
qui suivit fut terrifiant. Dressé devant le groupe formé par le blessé étendu
et la jeune femme agenouillée auprès de lui, Lorenzo que sa robe noire
grandissait encore le dominait de son ombre menaçante. Ses poings serrés, son
visage crispé traduisaient une colère muette qui allait peut-être jusqu’à l’envie
de meurtre. Fiora, faisant appel à tout son courage, se releva lentement et lui
fit face, consciente de braver ainsi un potentat altéré de vengeance et non
plus l’homme qui, parfois, délirait d’amour entre ses bras.
– Décide !
fit-elle. Mais décide vite ! Tu les entends ?
Les
hurlements allaient s’amplifiant. L’averse ne dispersait pas la foule qui, au
contraire, avait dû grossir, mais Lorenzo ne semblait pas entendre les cris de
mort. Son regard fouillait celui de sa maîtresse comme s’il cherchait à en
arracher quelque vérité cachée.
– Une
Pazzi ! dit-il enfin. Toi, une Pazzi et l’épouse de ce misérable déchet...
L’indignation
qu’elle éprouva se teinta d’une amère déception. Quel mobile, sinon une
primitive jalousie de mâle – la plus basse puisqu’elle n’a pas l’excuse de l’amour
– animait cet esprit généralement brillant pour lui souffler une si plate
insulte ?
– Un
mariage conclu sous la contrainte ne saurait être
valable
devant Dieu, même béni par le pape, dit-elle. Quant à Carlo, il ne m’a pas
touchée.
Puis,
avec un dédain qui fit monter le rouge aux pommettes de Lorenzo :
– Tu
devrais mieux me connaître et, je m’aperçois que je ne suis pour toi qu’une
chair à plaisir, à peine plus qu’une courtisane. Alors, tu peux me livrer sans
regrets car tu ne me soumettras plus à ton désir.
– Ce
qui veut dire ? gronda-t-il.
– Que
je partirai demain pour la France... à condition, bien sûr, que je ne sois pas
massacrée d’ici une heure avec Carlo.
– Ne
me défie pas, Fiora ! Tu n’as rien à y gagner.
– Voilà
le banquier qui reparaît. Ai-je jamais cherché à tirer de toi un quelconque
avantage ? Ce que tu m’as donné, je ne l’emporterai pas, sois sans crainte !
Je laisserai tout à Démétrios. Mais si tu es incapable de reconnaître tes amis,
si la pitié t’est à jamais étrangère, ma place n’est plus auprès de toi.
D’un
geste impérieux, elle l’écarta de son chemin et se dirigea vers la porte. Il la
rattrapa :
– Où
vas-tu ?
– Dire
la vérité à Luca Tornabuoni. Lui apprendre que Carlo est mon époux et que, s’il
veut le tuer, il me tuera avec lui.
– Mais
enfin, pourquoi tiens-tu tellement à ce qu’il vive si, comme tu le prétends, tu
as été mariée de force ? Sa mort te
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