Fiora et le roi de France
ébranla les échos de la nuit avant de s’arrêter devant la
porte de la villa. Fiora et Démétrios l’attendaient, car la jeune femme savait
déjà que le visiteur tardif n’était autre que Lorenzo.
Lorsqu’il
vint vers elle, blanche et lumineuse dans le halo de sa lampe, Fiora le revit
tel qu’il était au soir du meurtre de Giuliano : le pourpoint noir ouvert
jusqu’à la taille, les cheveux ébouriffés par le vent de la course, la sueur au
front et chacun de ses traits accusé par la poussière. Mais l’expression de ce
visage n’était pas la même. Lorenzo, ce soir, ne venait pas chercher un refuge,
il n’espérait pas trouver un moment d’oubli entre des bras soyeux. Son air
était celui d’un homme déterminé qui vient de prendre une résolution.
– Je
suis venu te dire adieu, dit-il simplement.
– Déjà ?
Mais je ne pars que dans quelques jours ?
– Je
sais, c’est moi qui m’en vais. Et peut-être serait-il prudent d’avancer l’heure
de ton voyage.
– Mais
pourquoi ? Rien ne presse et Commynes...
– Commynes
part demain pour Rome. Je l’accompagnerai sans doute.
En
quelques phrases brèves, Lorenzo raconta ce qui s’était passé et pourquoi, d’un
seul coup, Florence s’était enflammée. Un héraut pontifical, à la tombée du
jour, avait apporté la déclaration de guerre de Sixte IV, assortie d’une lettre
adressée aux prieurs dans laquelle le pape déclarait n’avoir aucun grief contre
la Seigneurie ni la ville, mais uniquement contre Lorenzo de Médicis, assassin
et sacrilège. Que Florence chasse l’indigne tyran, et elle ne serait frappée d’aucune
peine ! Elle recouvrerait la faveur du Saint-Père qui la tiendrait
désormais en sa toute particulière affection.
– Alors,
j’ai proposé de me livrer, conclut le Magnifique, afin d’épargner à cette ville
qui m’est chère les horreurs d’une guerre. Les prieurs ont refusé ma
proposition, mais je leur ai demandé de réfléchir jusqu’à demain, de consulter
leurs quartiers, leurs familles et les maîtres des différents arts.
– Il
me semble qu’ils t’ont déjà répondu ? fit Démétrios. Nous avons entendu le
tocsin et aussi la rumeur...
– Telle
a été, en effet, leur première réaction, et j’en ai éprouvé beaucoup de joie.
Cependant, bien des choses peuvent changer en une nuit quand les ténèbres
apportent le silence... et la peur.
– Tu
ne peux pas te livrer ! s’écria Fiora indignée. Toi, entre les mains de ce
pape inique qui a osé faire abattre ton frère en plein office de Pâques ? Il
te fera mettre à mort sans hésiter... et Commynes n’y pourra rien.
– Loin
de moi la pensée de le mettre dans un mauvais cas. Sa mission est déjà assez
difficile.
– Et
tu penses que ta mort suffira pour calmer la fureur de Sixte ? Lui ne fera
rien, peut-être, mais il enverra son cher neveu et Riario, après avoir fait
suer à Florence tout son or, lui fera suer tout son sang si elle ne se traîne
pas à ses pieds. Est-ce cela que tu veux pour ta ville ? Crois-tu que ce
misérable épargnera tes enfants, ta femme, ta mère et toute ta parenté ? Tu
es fou, Lorenzo !
– Non,
Fiora. C’est la seule conduite que je puisse tenir. J’ai dit, moi, ce que ma
conscience me poussait à dire. A présent, c’est à Florence de répondre et de
choisir son sort.
– Accepter
la férule de Riario ou se battre avec toi ? dit Démétrios. Il me semble
que, si j’avais quelque poids, je n’hésiterais pas un seul instant. Encore
moins une nuit...
– Et
ils ont accepté cette nuit ! murmura Fiora. C’est encore trop !
– Non,
car l’enjeu est grave. Si je ne me livre pas, la ville sera frappée d’interdit.
– Et
alors ? Si la Seigneurie rejette le pape comme il le mérite, que lui
importent ses décisions ? Commynes ne t’a-t-il pas informé des projets du
roi de France ?
– Le
concile ? Oui, je sais... mais il faut du temps pour réunir un concile.
Tiendrons-nous jusque-là ?
– N’y
a-t-il pas ici assez d’or pour acheter des condottieri ? Florence est-elle
sans armes, sans remparts, sans autre puissance que celle de ses marchands ?
Elle se battra, ou alors, elle ne sera plus jamais Florence !
L’ardeur
passionnée de Fiora fit sourire Lorenzo qui, d’un geste tendre, l’attira vers
lui :
– Tu
parles comme ma mère, dit-il en posant sur son front un baiser léger, mais...
– Et
comme toutes les femmes de la ville,
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