Fiora et le roi de France
façon, il a trop d’orgueil pour
accepter de n’être qu’un pis-aller.
– Je
n’ai jamais rien dit de tel ! s’écria Fiora indignée.
– Peut-être,
mais c’est, en gros, le sens de tes paroles. En outre...
– C’est
une double promesse alors ?
– Pas
vraiment, les deux se résument en une seule : le silence. Tu ne diras
jamais à Philippe de Selongey que Médicis a été ton amant. C’est ta vie plus
encore que ta paix que je veux préserver. Il serait capable de te tuer.
– N’a-t-il
pas pardonné Campobasso ?
– Je
me méfie de ces pardons-là et je ne jurerais pas qu’il ne t’en reparlera plus.
Alors, je t’en prie, pas de ces confidences imprudentes que l’on fait sur l’oreiller
et dont vous avez la manie, vous les femmes ! Je connais bien ton époux :
il t’aime passionnément. Il a pu passer l’éponge sur... les hasards de la
guerre, mais il ne pardonnerait pas à la mère de son fils de s’être consolée
dans les bras du Magnifique. Même si elle se croyait sa veuve. J’ai ta promesse ?
– Tu
les as toutes les deux. Tu es plus sage que moi.
– Un
mot encore : es-tu certaine de ne pas être enceinte ?
Fiora
devint aussi verte que la brindille qu’elle venait de glisser dans son corsage.
Pas un instant elle n’avait imaginé au cours des heures ardentes vécues avec
son amant que cela pût lui arriver...
– Je...
je ne crois pas. Non.
– Il
suffit de voir ta tête pour comprendre que tu n’en es pas sûre. Alors
écoute-moi bien : tout à l’heure, je te remettrai une potion. Au moindre
signe de grossesse, tu en avaleras le contenu d’un seul coup avec un peu de
miel. Tu seras malade à mourir pendant deux jours, mais ensuite tu pourras sans
crainte affronter le regard de ton époux !
– Est-ce
que... ce ne serait pas un crime ?
Du
haut de sa taille, le Grec considéra la jeune femme dont les admirables yeux
gris se levaient sur lui, chargés d’incertitude, de crainte même. Jamais elle n’avait
été aussi belle. Simplement vêtue de fine toile blanche brodée de fleurettes à
cause de la chaleur, ses cheveux relevés et tressés en une lourde natte qui
glissait le long de son épaule, elle était l’image même du printemps. Son
visage, dont elle protégeait la pâleur à peine rosée à l’aide d’un parasol de
soie, avait la délicatesse d’une fleur de camélia et son long cou flexible une
grâce infinie. Par le repos, les soins et la passion attentive de Lorenzo le
corps mince et nerveux semblait s’être poli, adouci, et dégageait cette
involontaire sensualité qui, jointe à une exceptionnelle beauté, compose ces
femmes rares capables de changer la face d’un royaume. Et Démétrios pensa que
le Magnifique, dont rêvaient tant de belles créatures, aurait peut-être quelque
peine à oublier celle-là. Il devait d’ailleurs en avoir plus tard confirmation,
au cours de ses nombreuses conversations avec Lorenzo.
– Posséder
Fiora, c’est posséder toute la beauté du monde. Les anciens Grecs en auraient
fait une statue divine, mais il faut l’avoir tenue dans ses bras pour savoir
quel doux éclat elle atteint dans l’amour, et aucune femme ne m’a donné ce que
j’ai reçu d’elle...
Le
silence de son ami inquiéta la jeune femme :
– Eh
bien ? Tu ne me réponds pas ? N’est-ce pas un crime contre la nature
que chasser un enfant de son corps ?
– Si.
C’en est un, mais celui qui, par jalousie, te tuerait, en commettrait un bien
plus affreux encore... et me briserait le cœur. Alors, garde pour toi ce que ton
mari n’a aucun besoin de savoir.
En
remontant vers une terrasse que bornait le mur d’enceinte de la villa,
Démétrios et Fiora trouvèrent Carlo fort occupé à installer des ruches avec l’aide
du jardinier. Le jeune homme aimait les abeilles et s’intéressait depuis
toujours à leur vie et à leur élevage. Il aimait à répéter que celles de
Trespiano donnaient un miel sans rival dans toute la Toscane. En sarrau de
toile et en sabots, les manches retroussées, les cheveux en désordre et le
visage rouge, il achevait le quatrième logis destiné aux abeilles et semblait
pleinement heureux.
Aucune
force humaine n’avait pu le convaincre de prendre part au déjeuner que Fiora
avait offert à ses amis Commynes et Mortimer :
– Il
me suffit que l’Écossais sache à quoi je ressemble, avait-il dit à Fiora en
manière d’excuse. Je ne veux pas que l’ambassadeur me voie
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