Fiora et le roi de France
Philippe aurait couru aussi vite à son devoir et, comme les
sbires du pape vous auraient retrouvée à Selongey comme ici, je ne vois pas qui
aurait pu aller à votre secours. Ne regrettez donc rien ! D’ailleurs... il
ne faut jamais rien regretter car c’est la meilleure manière d’affaiblir l’âme
et la volonté les mieux trempées. Que pensez-vous faire à présent ?
– Mais...
essayer de rejoindre mon époux, si toutefois le Roi veut bien me dire où il est ?
Louis
XI se leva, plia deux ou trois fois ses genoux qui craquaient pour les
assouplir et se mit à marcher de long en large, les mains nouées derrière le
dos.
– Ce
serait avec joie... si seulement je le savais !
– Si
vous... pardon, Sire, mais messire de Commynes m’a dit qu’après l’échafaud,
Philippe a été ramené naturellement à la prison de Dijon et qu’ensuite il a été
transféré ... ailleurs.
– A
Lyon. Très exactement au château de Pierre-Scize, une bonne forteresse, bien
défendue et pourvue des meilleures geôles qui soient. Seulement, il n’y est pas
resté.
– Mais...
pourquoi ?
– Pour
la meilleure des raisons : il s’est évadé.
– Évadé ?
Et on ne l’a pas retrouvé ?
– Eh
non !
– Mais
enfin, Sire, vous possédez la meilleure police d’Europe, le meilleur service de
messagerie, la plus puissante armée...
– Je
possède tout cela, en effet, mais aussi des gouverneurs de prison pourvus de
filles assez stupides pour aider à la fuite d’un prisonnier séduisant. Votre
époux, ma chère, s’est enfui à l’aide d’une lime et d’une corde qu’on lui avait
apportées dans un panier de fromage et de fruits. Voilà ! Vous savez tout !
Fiora
resta muette quelques instants. Dans son âme s’affrontaient les sentiments les
plus contradictoires. Bien sûr, elle avait éprouvé une grande joie en apprenant
que Philippe était libre, mais elle était trop femme pour que l’épisode de la
fille du gouverneur lui causât un vif plaisir, même si sa propre conscience, en
dépit de sa confession à Fiesole, n’était pas tout à fait nette.
– On
ne l’a pas recherché ? dit-elle enfin.
– Bien
sûr que si. Le château étant bâti sur un rocher qui domine le Rhône, on a d’abord
pensé qu’il avait pu se noyer, mais on s’est aperçu que la barque d’un pêcheur
avait été volée. Ensuite j’ai fait surveiller les alentours de Selongey,
pensant qu’il aurait peut-être l’idée de rentrer chez lui. Aucun résultat, et
pas davantage à Bruges, chez la duchesse Marie ! J’y entretiens,
naturellement, certaines... connivences, fit le Roi vertueusement, mais il
semblerait que personne ne l’ait vu.
– Mon
Dieu ! ... et s’il lui était arrivé malheur ? Seul, sans armes, sans
argent, il a pu être attaqué, tué peut-être ?
– Ah !
ne recommencez pas à pleurer ! Songeant à cette possibilité, j’ai fait
proclamer à tous les carrefours du royaume sa description physique, promettant
une forte récompense à qui le ramènerait vivant, et une autre... beaucoup plus
faible, à qui le ramènerait mort ! Rien n’est venu. J’ai même fait mieux :
son écuyer, Mathieu de... Prame, je crois ?
– Oui.
La dernière fois que je l’ai vu, il se trouvait près d’ici dans une cage et on
le conduisait vers le château de Loches, dit Fiora d’un ton réprobateur.
– C’est
tout à fait exact. Eh bien, il a été relâché, puis on l’a suivi discrètement.
Il a filé droit sur Bruges... et je n’ai plus eu aucune nouvelle de lui... ni d’ailleurs
des deux hommes que j’avais chargés de le surveiller, mais il est vrai que chez
Madame Marie et son époux, les Français ne sont guère en odeur de sainteté. En
tout cas, une chose est sûre : personne n’est venu demander de récompense,
mais votre époux, ma chère enfant, coûte tout de même très cher à ma
trésorerie...
– J’en
suis désolée, Sire, mais, si l’on vous avait livré Philippe quel aurait été son
sort ? Est-ce que... est-ce qu’il aurait été...
– Exécuté ?
Me prenez-vous pour un benêt ? Je ne change pas si facilement d’avis !
Je l’aurais enfermé encore une fois mais en cage et ici même, dans la prison de
mon château, en attendant que l’on vous retrouve. Venez, à présent ! Je
sens le besoin de marcher un peu !
Fiora
ne bougea pas. L’œil fixe, elle contemplait la pointe de ses souliers qui
soulevaient les ramages de sa robe
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