Fiora et le roi de France
et Fiora, oubliant son séant douloureux, ses cuisses brûlantes et
ses reins moulus, opinait du bonnet et continuait l’infernale chevauchée qui, d’ailleurs,
n’ajoutait pas une ride au visage de l’Ecossais.
Cet
homme était bâti d’acier et, surtout, il connaissait comme personne les routes,
chemins et sentiers de France. Grâce à cette connaissance, les voyageurs n’eurent
pas à se cacher du cardinal della Rovere : tandis que celui-ci descendait
à petite allure par Châteauroux, La Châtre, Montluçon et Varennes pour
atteindre Roanne et Lyon au pas tranquille de son long cortège, les deux
cavaliers, par Vierzon, Bourges et Moulins, atteignirent Varennes et Roanne
avec une confortable avance sur le voluptueux prélat. Les journées étaient
rudes, on abattait une grosse quinzaine de lieues entre le lever du soleil et
le crépuscule. A l’étape, le même cérémonial se renouvelait : tandis que
Fiora, éreintée, se traînait jusqu’à la chambre d’auberge qui lui était assignée,
se lavait à grande eau puis se jetait dans son lit où son repas lui était
apporté, Douglas commençait par soigner les chevaux, les bouchonnait, les
étrillait, baignait dans du vin leurs jambes fatiguées puis leur faisait donner
double ration d’avoine dont il surveillait la qualité avant de s’occuper de
lui-même. Il avait choisi en personne, dans l’écurie royale, la monture de
Fiora, la sienne étant au-dessus de tout éloge. Louis XI, en effet, était pour
ses chevaux d’une extrême exigence et, alors qu’il était si peu soucieux de sa
propre apparence, il n’achetait jamais que des bêtes de première qualité,
dût-il les payer une fortune. Mais il y tenait, et Mortimer savait que le roi
lui pardonnerait n’importe quoi, même un retard ressemblant presque à une
désertion, pourvu qu’il lui ramenât ses chevaux en bon état. D’ailleurs, il les
aimait trop lui-même pour qu’il en allât autrement.
Durant
les onze jours que dura le voyage, lui et sa compagne n’échangèrent pas cent
paroles. Chaque matin, Mortimer s’assurait que Fiora avait bien dormi, veillait
à sa nourriture et, s’il lui demandait des nouvelles de sa santé, c’était pure
courtoisie : sa façon de darder sur elle un œil inquisiteur rappelait
étrangement sa manière d’examiner les chevaux et la jeune femme s’attendait
toujours à ce qu’il lui fît ouvrir la bouche pour s’assurer qu’elle possédait
le nombre de dents réglementaire. Puis il énonçait les noms des lieux que l’on
traverserait avant la halte du soir.
Si
Fiora souffrit mort et martyre durant les quatre premiers jours, elle réussit à
s’endurcir suffisamment pour que la fin du trajet fût non seulement moins dure,
mais presque agréable. Cette folle chevauchée à travers les campagnes dorées,
roussies, rougies par le début d’automne, sous un ciel doux dont le bleu léger
avait perdu la teinte blafarde des grandes chaleurs d’été, ne manquait pas de
charme. Aucune pluie ne vint transformer les chemins en bourbiers et, sous les
sabots des chevaux, la terre renvoyait un son mat presque musical. Enfin, quand
on atteignit le pays des oliviers et des cyprès, quand l’air s’emplit des
stridulations des cigales, un véritable sentiment de joie l’envahit, et le
sourire qu’elle offrit à Mortimer rayonna de toute l’espérance qu’elle mettait
dans ces terres roses ou ocre où le soleil régnait sans partage.
Onze
jours après leur départ de la maison aux pervenches, ayant parcouru sans répit
quelque cent soixante-dix lieues, les deux cavaliers virent se profiler de part
et d’autre du large fleuve que le couchant incendiait deux cités : l’une
superbe, dominée par un énorme palais à clochetons et le campanile roman d’une
église ; l’autre, presque aussi belle, mais d’aspect plus redoutable, avec
le haut donjon et les remparts entourant la ville basse et la couronne de
murailles crénelées qui, sur la colline, le mont Andaon, enfermait une bourgade
et une abbaye. Un grand pont reliait les deux rives entre un châtelet du côté d’Avignon
et le lourd donjon, la tour Philippe le Bel, dressée sur un rocher dénudé. Ce
pont, enjambant des îles plates et chevelues, avait dû connaître des jours
meilleurs car si, près de la ville papale, il montrait de belles arches de
pierre aux arcs bien arrondis et supportant une petite chapelle, la partie
centrale était constituée de gros madriers qui
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