Fiora et le roi de France
une légère brume
annonciatrice de chaleur. Le parfum des herbes, de la mélisse, de la menthe et
du fenouil montait des potagers situés plus bas. L’air était d’une douceur
exquise et, dans le grand ciel bleu, les hirondelles passaient comme de minces
flèches noires.
Assise
dans l’herbe sous un pin dont elle mâchonnait une aiguille sèche, Fiora s’engourdissait
dans le plaisir de cet instant où elle retrouvait la ville qu’elle aimait, où
elle pouvait sans arrière-pensée se laisser envahir par sa grâce et sa beauté.
Ni Chiara ni elle-même n’éprouvaient le besoin de parler, sûres de l’accord
paisible où voguaient leurs esprits. Installée un peu plus loin, Colomba
donnait, adossée à un arbre, le nez sur son vaste giron.
Fiora
envisageait d’imiter la gouvernante quand une ombre s’interposa entre elle et
le paysage. Elle sursauta en reconnaissant Luca Tornabuoni qui venait de mettre
genou en terre devant elle pour être à sa hauteur. Tout de suite irritée, sa
réaction fut immédiate :
– Va-t’en !
Je t’ai dit que je ne voulais plus te voir !
– Un
instant, Fiora ! Rien qu’un instant ! Je sais que tu m’en veux...
– T’en
vouloir ? J’avais même oublié ton existence. Ce n’est pas une bonne idée
de m’en faire souvenir !
– Ne
sois pas si dure ! Je sais que je me suis mal conduit envers toi mais j’en
ai tellement souffert par la suite...
– Souffert ?
Tu ne sais même pas ce que cela veut dire. Il n’y a qu’à te regarder pour voir
combien tu as pâti de ces dernières années : tu affiches une mine superbe,
une belle prospérité, et tu as une jeune épouse et un fils, m’a-t-on dit ?
En vérité, tout cela est à verser des larmes.
– Laisse-moi
au moins plaider ma cause ! Chiara, je t’en prie, accorde-moi un instant
de solitude avec elle.
Mais
celle-ci, au lieu de s’éloigner, s’étendit de tout son long dans l’herbe :
– Ma
foi, non ! Je suis trop bien. De toute façon, elle n’a pas envie de t’écouter.
Elle n’aime pas les pleutres.
– Je
n’en suis pas un et vous le savez bien, toutes deux ! En tournoi, je me
bats vaillamment.
– C’est
à la portée de n’importe quel imbécile pour peu qu’il ait des muscles, de
bonnes armes et un cheval bien dressé, coupa Fiora. Ce n’est pas cela, le
courage.
– Que
devais-je faire, alors ? Affronter seul une foule en colère ? C’était
effrayant...
– Tu
crois que je ne le sais pas ? Ce que tu devais faire ? Venir à moi,
me tendre cette main secourable dont j’avais tant besoin. Rester à mes côtés.
Mais tu t’es enfui comme un lapin poursuivi. Sans Lorenzo...
– Qu’a-t-il
fait de si extraordinaire, mon cousin ? Il pouvait te sauver et il n’a pas
agi, fit Luca avec aigreur.
– Il
a fait beaucoup plus que tu ne l’imagines et si je suis vivante à ce jour, c’est
à lui que je le dois.
– Tu
l’en paies royalement, si j’en crois ce que l’on dit ? Tu es devenue sa
maîtresse.
– C’est
tout à fait exact, mais je ne vois pas en quoi cela te regarde ?
– Mais
je t’aime, moi ! Je n’ai jamais cessé de t’aimer, de te regretter. Je
voulais aller à ton secours, mais mon père m’a enfermé et...
– Et
tu as jugé plus confortable de rester enfermé. Après quoi tu t’es hâté d’aller
offrir tes vœux à une autre. Ou bien mon ami Démétrios a-t-il rêvé t’avoir vu
en compagnie d’une jolie rousse ? Brisons-là, Luca ! Je t’écoutais
avec plaisir jadis, mais je ne t’aimais pas. Je ne t’ai jamais aimé. Pourquoi
veux-tu qu’à présent je m’intéresse à toi ?
Elle s’était
levée pour s’écarter de lui. Il tendit pour la retenir des mains suppliantes,
mais la soie de la robe noire glissa entre ses doigts. Chiara se relevait, elle
aussi, et se retrouva entre eux tout naturellement. Elle posa sur l’épaule du
jeune homme une main apaisante :
– Oublie-la,
Luca ! Tu t’es repris de passion pour elle en la revoyant, mais tu
ressembles à un enfant qui réclame un jouet, naguère dédaigné, parce qu’on
vient de le donner à son frère, et qui trépigne pour le reprendre. On ne force
pas le cœur d’une femme...
– Allons
donc ? Est-ce qu’elle aimait Lorenzo, jadis ? Et pourtant elle est à
lui, maintenant !
– Je
ne suis à personne... qu’à un souvenir ! s’écria Fiora à bout de patience.
Peut-être, en effet, devais-je quelque chose à ton cousin, mais à
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